jeudi 4 juin 2009

NORD - Blog Is Not Dead, FLORIAN RANGE TA CHAMBRE! continued: part. 2 & 3

Pour la première partie, cf. vidéo-citation.

(Beauty n°)
2.

Merci, cher Florian, de te faire de nos idéaux de jeunesse une idée si haute. Si tu veux tout savoir, au risque de paraître faire de la provoc à deux balles, je me crois fondé à affirmer que la seule chose à laquelle j’aspirais quand j’avais ton âge (au risque de paraphraser une alors fameuse interview du chanteur du groupe de hard Wasp, qui sous son hideux maquillage chiffrait dans les 40 ans : autant dire que pour nous il était grabataire), c’était: tirer un coup. Je pensais très sincèrement que la fin des temps peut-être, la fin de ma vie à coup sûr seraient venues avant que j’y parvienne.

Cette idée absurde, selon quoi nous aurions de tous temps entretenu ce « rêve » d’harmonie familiale et de stabilité serait-elle à imputer à ceux des trentenaires ou quadragénaires actuels pour qui « le couple » et « les enfants » constituent, il faut bien te mettre ça en tête, un genre d’ultime tentative pour NE PAS ressembler à leur parents ? Lesquels, s’ils se sont souvent mariés jeunes, ont à peu près tous divorcé ? Sans doute le fait que mes propres parents m’aient si longtemps dissimulés la désintégration déjà consommée de leur union n’est-il, à l'inverse, pas étranger au peu d’empressement que j’ai montré jusqu’à ce jour à me convertir à l’idéal de la famille ressuscitée. Le cadavre pour moi est encore trop frais.

On finit bien par se mettre avec quelqu’un parce que, tout seul, c’est trop dur. Vivre ensemble c’est trop dur, alors on se sépare.
Pour nous comme pour vous, tout est trop dur.
Tu vois !
On est faits pour s’entendre…

Au fait ça ne te dérange pas si je rentre avec vous, je veux dire : toi et ta petite copine, là ? --- (L’expression m’est à l’instant re-surgie toute armée de mes défuntes années en tant que guide touristique : le pater familias caractériel d’un consanguin lobby enkysté au sein du groupe que j’accompagnais s’était convaincu, sans jamais le dire tout à fait explicitement, que j’étais non seulement gauchiste, mais aussi juif et « pédé » : avant d’écrire à ce sujet une lettre incendiaire aux responsables de l’agence de voyage, poussé par sa moitié qu’embarrassaient ses perpétuelles vociférations, il s’était mis en peine de me faire un cadeau, une mini bouteille de champagne ou mousseux achetée dans l’avion qu’il me remis « à condition » qu’abjurant, clause non formulée, mes mœurs sodomites, je m’engage à la boire, clef du code : « avec la petite copine ».) --- Elle est bien jolie, je trouve, poursuit-il, émoustillé autant par cet aparté mémoriel que par le souvenir d’innombrables heures perdues sur Suicide Girls dot com. Surtout ne faites pas attention à moi. Je resterai tranquille dans mon coin. À m’occuper de mes petites affaires. Mieux que toi des tiennes, à ce que je vois, mais c’est bien normal à ton âge — le sexe adolescent dans l’odeur des chaussettes sales — l’odeur des chaussettes sales bourrées dans un sexe adolescent (trop propre l’éros juvénile, qui pourtant occupe partout le devant de la scène, d’étranges courts-circuits pulsionnels précèdent le crash inévitable d’un idéal payé à crédit : demeurer jusqu’à 60 ans cette mince jeune femme sans cellulite, ce garçon gagnant à digestion rapide* !) — des cendres sur le tapis. La morsure barbelée d’un appareil dentaire de jeune fille. L’auréole d’un maillot de foot (+pour chauffer les stades, on met sur les podiums des danseuses de 17 ans*) --- Comme Gide et William Burroughs et Lewis Carroll, j’aime la jeunesse. Même désespérée. Même nihiliste. Du moment qu’elle baise. Au moins ça me change de la mienne.

« Je ne dirais pas ça, moi !
— Toi, Emma, c’est différent. Ces choses ne t’ont jamais posé de problème. On en a déjà parlé. Quand je t’ai tuée.
— Je me rappelle.
— Trop top.
— Arrête, il ne parle pas comme ça le petiot : c’est un intellectuel de 15 ans. Mais tu as raison, il est joli. Ils sont tous les deux jolis. »

Vous êtes sûr que ça ne vous pose pas de problème ? Avec ce clitoris qui ressemble plutôt à une bite — mais qui n’est pas tout à fait une bite quand même —, cette écriture bien évidemment androgyne, mais pas sur un mode binaire. Si EMD est aussi Christiane F. (l’Emma provinciale à 13 ans se rêvait droguée et prostituée), alors moi F. Moulin je suis selon toute probabilité le type à la Mercedes qui la ramasse devant la gare de Bannhof-Zoo. En revanche fm+emd demeure irréductible à la somme de ses parties. Génitales, naturellement :

Tournez-vous si ça vous gêne.

//

3.

FTU — Female To Unknown — « Cette tactique qui nous semble le signe de l’interchangeable. »

Mais non. Il faudrait bien plutôt parler d’une « indifférenciation ». Qui dans le cas du petit bonze FTU en battle-dress, éphèbe égérie de Cynthia (c’est cela qui m’a le plus frappé dans le documentaire de Cynthia sur la transsexualité : la différence de discours, ou plutôt non : de ton, entre les différentes générations de transgenres), se teinte, je le crains, de véritable indifférence, indifférence pour tout ce qui n’est pas sa mission pionnière d’habiter l’entre-deux, inhabité car inhabituel — même à ceux, plus âgés, qui ont conquis le droit de passer la frontière, de muter d’un sexe à l’autre, avec encore, cependant, l’idée d’un passage de l’autre côté : « Je croyais être fait comme mon père, puis on m’a dit : Tu es une petite fille. » --- « Je voulais être un garçon. » --- « Je me sentais une femme. » --- Tandis que notre petit moine mâtiné de Lara Croft, du haut de ses 20 ans et des poussières, porte un tout autre regard sur le théâtre des opérations, refusant de troquer une identité contre une autre qui aurait été, elle aussi, préalablement définie.

Disant « liberté » là ou d’autres avaient dit : « solitude ».

On associe souvent — soit par ignorance, soit, pour les intéressés, mû par la nécessité et le sentiment d’une communauté de combat — transsexualité et homosexualité. Deux notions qui ne sont pourtant pas du même ordre, ici : « Qui j’aime », là : « Qui je suis ».

« J’ai été une fille, et je ne me reconnaissais pas dans ce qu’on attendait de moi en tant que fille. J’ai voulu devenir un garçon, mais ce qu’on attendait d’un garçon je ne m’y retrouvais pas non plus. »

Vois-tu, mon petit Florian, ce qui, pour nous, constituait au mieux un dilemme (dont toute résolution se heurtant à l’inertie sociale pouvait mener cependant au combat, sur le mode héroïque : la lutte contre la psychiatrisation ouverte ou rampante des choix d’identité sexuelle aura-t-elle constitué en la matière l’ultime de l’ère collective et militante ?) est devenu pour vous un jeu. L’identité un champ d’expérimentation sans limites admises. Sans limites et sans règles — or un jeu sans règles n’est plus un jeu, mais une Quête sans plus de fin. La quête sans possible aboutissement définit ce qu’on appelait jusqu’ici : RELIGION. Ce culte d’Ego alors que le Moi (comme le montre l’exemple du sinistre monsieur Moulin) est désormais insauvable, voilà qui fait donc une religion tout à fait crédible — une réalité sociale objective dont la nature, sur le plan subjectif, est d’être sans issue.

Question naïve : si toute norme ou valeur n’est rien d’autre qu’une construction qui possède une utilité sociale, tant que cette utilité persiste, de quel droit prétendrons-nous la déconstruire ? Parce que sans doute nous vivons déjà dans une autre utilité sociale, qui peine à se reconnaître comme telle.

L’homme doit être surmonté. No man’s land.

La norme est un frein à l’innovation. C’est, en substance, le constat que fait notre petit moine. Ses aînés, les pionniers transgenres, étaient « en crise ». Pour eux de façon très personnelle et irréductible la norme établie imposée était une greffe qui ne prenait pas. Dans l’un comme l’autre cas je n’ai pas la prétention d’avoir « bien » compris, encore moins de confisquer leur parole : je dis comment simple récepteur — mais bien sûr cela ne saurait être, quiconque prétend absolument au monopole de sa propre compréhension, tout geste devant être interprété pour être humainement perçu, ne devrait pas seulement se taire mais se cacher — j’entends leurs propos, tels que restitués dans le film**. Et, surtout, ce fossé entre la parole douloureuse et du plus jeune le silence souverain.

Dans une philosophie occidentale rarement fondée sur le cercle (pour cause de nécessaire Progrès), étrangement circulaire apparaît pourtant le classique : « Je pense, donc je suis » — qui suis-je ? Celui qui pense, naturellement. Or si au lieu de cela tu dis : « Je me construis » ou, mieux : « Je m’invente », qui est ce « Je » qui te construit et t’invente, s’il n’existe pas encore ? — Une « mutation anachronique », je suppose.

Narcisse n’est pas Florian, et n’a nul souci de la fin du monde. Narcisse a cette intelligence de la révolte postmoderne qui ne revendique aucun objectif défini, mais la liberté de tendre --- Neverland est son domaine, Vendredi son fardeau. (Notons que ce Neverland n’a rien, ça alors rien du tout, de celui d’un dégât collatéral de 50 ans abîmé exsangue — doublement littéral — sur ses millions. L’erreur fatale croisant Narcisse serait d’oublier combien véritable est sa beauté.) +On sait ce qu’il est advenu de la nymphe Echo :

(…)

The Beautiful Ones, they hurt you everytime.




À SUIVRE.


* [les deux fois : bouts de phrases repris, très librement, d’un entretien avec Benjamin Barber paru dans le n°2 de la revue Ravages, consacré à « l’infantilisation générale » et où figurent par ailleurs d’importants articles de Paul Virilio et Bernard Stiegler.]

** [« L’Ordre des mots » : un titre qui nous renvoie, précisément, à la médiocre perméabilité de notre entendement structuré par (un certain état de) la langue : le genre, le nombre.]