(Yi King, le livre des mutations)
- - - - - - Dans le couloir
qui me sépare de ma chambre, je — petit corps depuis cent mille ans rouillé
de culpabilité — m’éloigne de l’odeur iodée et savonneuse de ma mère. Tout
en moi n’est qu’abstraction autour de l’unique point d’impact. A l’intérieur, un
silence plane comme une surface que je pourrais arpenter. Bien plus immense que
la clôture de ma chambre. C’est là, sur ce terrain, que je le fait apparaître
pour la première fois. Cet homme a pour moi le visage de l’amour. Il ferme les
yeux doucement en souriant. Ce qui signifie un assentiment total et une
sensation de complétude jusqu’à alors inédite. Je l’épouse sur le champ. Sans
que personne ne sache rien. Il est mon secret. Ma consolation née dans la
douleur d’être moi. Toute ma vie je sais que je le chercherais par-dessus le
ventre des hommes. Le traquant parfois, l’attendant toujours, à chaque
histoire, dans l’épiphanie constamment renouvelée des commencements. Je ne sais
pas encore qu’il n’existera pas. Jamais.
Tous
les jours il me suit à l’école. Tous les soirs il me regarde sous la douche. Ce
n’est pas un jeu c’est réel. Je vis chaque seconde comme une audition. J’ai
placé ma vie entière comme une question de vie ou de mort sous son regard accidentel.
Pour avoir la conviction que de chacun de mes gestes dépend de quelque chose.
Le trouve-t-il séduisant ce corps de mouflette ruisselant sous la douche ?
Si tel n’était pas le cas, autant mourir, mourir pour de vrai. Mais il n’est
pas question encore de cela. L’espoir, mais non ! La certitude de
l’existence de cet homme oblitère l’option du petit cercueil.
J’ai
neuf ans.
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