samedi 10 janvier 2009

NORD - N. — D. — E.

Ce matin mon ordinateur est tombé en rideau et c’était tout à fait comme de contempler mon propre cadavre. Oh ça, oui, le voyant était allumé. Impossible d'éteindre ou de redémarrer. Ni vraiment "On" ni vraiment "Off". Juste out. D’habitude, en semblable circonstance, j’aurais cassé quelque chose, martelé le mur, le bureau, hurlé seul comme un possédé. L’ensemble de mes écrits, mes projets en cours, les rush des vidéos auxquelles nous travaillons --- tout cela était enfoui derrière cet écran noir, perdu, peut-être définitivement. Sans parler des traces de mes contacts sociaux (cette expression en vaut bien une autre, depuis — ? — depuis, sans doute, qu’il ne demeure plus guère pour moi, comme pour d'autres, aucune forme de relations sociales effectives hors de ce flux de réseaux et coordonnées dont la contrepartie paradoxale est l’archivage). J'ai conçu les grandes lignes de notre site, STASE, mais c'était sur le papier. Arnault et Rudy, après Emma elle-même, se sont chargés de la mise en place. Ma propre incompétence en informatique fait qu'en cas de problème, je suis bien incapable d'en évaluer la gravité et, le cas échéant (j'insiste sur cette nuance), de le relativiser. Et voilà que je regardais simplement cet écran noir, ne ressentant rien. Indifférent ? Je ne dirais pas ça. Plutôt le sentiment, qui ces jours-ci ne me quitte plus, d’être --- atrocement léger. Effrayé, jaloux, chaque fois que je croise quelqu’un dans la rue, dans le métro, au café, de sentir par contraste chez d’autres êtres une si redoutable densité. J’essaie de ne pas juger ces employés (est-ce que je ne suis pas moi-même un employé ? mais je n’ai plus vraiment de collègues, ce qui un sens est pire, c’est faire partie du troupeau sans jouir de sa chaleur) qui caquettent durant leur pause déjeuner sur le bon et le mauvais chef, le bon et le mauvais collègue, le bon et le mauvais amant, la performance. Je l’évite précisément parce que j’ai conscience de les envier. D’envier chez eux ce qui, une fois épuisées les plus ou moins vieilles vues de l’esprit (« Philosophie, hélas! jurisprudence, médecine, et toi aussi, triste théologie!... je vous ai donc étudiées à fond avec ardeur et patience : et maintenant me voici là, pauvre fou, tout aussi sage que devant »), héritées ou construites, devrait en tout logique demeurer le seul critère d’appréciation valable ou valide --- j'ai nommé, leur CAPACITÉ D’ADAPTATION. Que je m’imagine, si ça se trouve. Léger. Trop léger. Une impression qui ne remonte, quand j’y pense, qu’à quelques semaines. J’ai dit qu’en de telles situations --- pertes de contrôle, impuissance à maîtriser le cours des évènements, la mécanique qui part dans le mur --- je deviens très vite violent, je deviens fou, surtout pas, comme aujourd’hui --- détaché : l’équivalent, en termes post-humains, d’une « Near Death Experience ». J’appuyais sur des touches — au hasard, je ne saurais faire mieux. J’ai retourné la machine — le portable —, tenté une première fois d’en ôter la batterie. Le voyant « marche » restait allumé, l’écran noir, l’ordinateur muet. Réalisant que j’avais oublié de débrancher l’alimentation je l’ai fait, puis retiré la batterie une seconde fois. Enfin toute ma vie --- mais pour combien de temps ?? --- est réapparue.