lundi 6 décembre 2010

NORD-SUD Aïki : La Fabrique des rêves

1 : LUI

Nos rêves, semble-t-il, ont pris la forme exclusive de poursuites en voiture, échanges de coups de feu avec des armes de gros calibres, noires (coloris unique), la ville sans surprises, grise (option palette sur demande/souris-bonite-titane-perle). Le scénario s’emboîte table gigognes. Dans le rêve mis au carré (50 par 50), les balles filent droit. Le scénario est FONCTIONNEL. Ce qu’ils vous offrent est toujours « à la mesure de vos rêves ». Nos rêves - pensent-ils avoir découvert - ont des mesures très précises. Le genre noir est le dernier refuge face au manque d’inspiration. Le noir ça va avec tout. Y compris avec le technicolor. Mais c’est difficile d’entretien. Pas de chlorage. Pas de séchage en sèche-linge. Repassage à température moyenne. Nettoyage à sec (solvants courants).

Fabriquer de beaux rêves résistants à petit prix est un véritable défi qui nécessite une approche différente. Un sésame : Le prix dépend des options sélectionnées. Des personnages sans visage ni vraie personnalité, tous blonds, bronzés, identiques, se révèlent enfin, se déploient hors de la baignoire, se différencient à travers les méandres de conversations sans fin, genre fais attention, mais alors fais vraiment, vraiment attention où tu mets les pieds, et au fait est-ce que je t’ai dit que tu ne savais pas où tu mettais les pieds ? Ishia tapis de bain € 12,99 Largeur: 44 cm longueur: 55 cm Hauteur: 135 cm. Couleur : ici bleu piscine. Il s’agit de trouver des solutions simples et d’économiser sur tous les tableaux - sauf celui des idées. Vous pouvez par exemple immerger anémones, coraux et un ban de spiciosus irisés pour donner plus de relief à votre ailleurs ici chez vous. Beautycelli porte savon conque nacré blanc Largeur: 6 cm Profondeur: 4cm apportera une touche de réel à votre véritable paysage intérieur all inclusive.

Par exclusive, j’entends que tout est déposé. Mise à plat terre à terre. Ville sans surprise même pliée et repliée origami. La plupart du temps, les beaux articles de décoration et d’ameublement sont réservés à une minorité de gens aisés (TYPE HOTELS INTERNATIONAUX) qui, vous menacent, vous persécutent. Quels sont ces phares de Saab clignotant dans la nuit, le savant fou parviendra-t-il à conquérir le monde avec sa horde de trois gorilles secs à présent sous les balles, mais je m’égare, en un mot tu ne sais pas où tu mets les pieds dans ta propre salle de bain: il y a mille-et-une façons de le dire, qui révèlent un homme. Sauf que bien sûr, assez vite, on perd toute curiosité pour ces gens, et ce dévoilement subtil tombe à plat. Insertion volume : Päfft boîte avec couvercle € 9,95 Largeur: 27 cm Profondeur: 35 cm Hauteur: 27 cm & Skills rangement vêtement à suspendre € 12,99 Largeur: 44 cm Profondeur: 55 cm Hauteur: 135 cm & Isidore bambin Longeur : 75 cm Poids : 5KG 600 Cheveux : blond cendré Yeux : bleus. Mais il est là à flotter tout seul et à frapper l’eau en geignant sa comptine. Et tu lui files même pas un canard putain ?! Qu’il s’amuse, qu’il s’amuse un peu le petit. Et ses cris presque perçants changent de plan pour faire voir le ciel où s’épanouit un vol en V de colverts sauvages. C’est ce qui arrive quand une association de syllabes devient un canard en plastique. Il a créé, aménagé une histoire dans l’histoire. Pour sa femme.

Tout du long sa femme joue Richard III -l’incarne dans la salle de bain- et aucun de ses partenaires ne paraît au courant. Aucun des personnages autour d’elle ne paraît s’en rendre compte, à commencer par la jeune héroïne qui – injection dictature de la plastique et sourires onctueux - pas un instant ne remet en question son allégeance à la cause : proposer une vaste gamme d’articles sentimentaux, esthétiques (rires pleurs extases) et fonctionnels (évacuer et remplir), à de si bas prix que le plus grand nombre pourra les acheter. Ce type de construction – Karlsadt : structure en nid d’abeilles prise en sandwich entre des plaques en bois, qui lui tient lieu de scène et de didascalies (le décor créé la fonction) – demande une quantité minimale de bois pour un résultat solide et léger. Pour elle la vie est un rêve, fait de niveaux successifs et de pif-paf, où la guerre de l’opium ne signifie plus rien. Héroïne version bêta. Héroïne brute de décoffrage. Change écran fondu enchaîné seringue paysage.
Quand tu rêves que tu es en Chine, ce n’est pas que tu vois des pagodes qui te disent que tu es en Chine. Tu le sais. C’est tout. Tu es sur cette route grise sans surprise, avec des gravillons, et tu sais te trouver là, en Chine. La Chine à ce stade ce n’est même plus un mot, c’est juste cela, un sentiment. Un sentiment que tu traduis par ce mot. Ou peut-être je me trompe, tu ne traduis rien. C’est là. La Chine est une immanence. Une évidence qu’on ne saurait matérialiser. Pour y remédier, nous offrons des produits pour la maison qui répondent aux besoins des gens dans le monde entier. Rendre son nom à la Chine. Des gens avec des besoins, des goûts, des systèmes d’accès aux sensations et des budgets très divers. Des gens 2.0 qui désirent vivre mieux au quotidien dans un rêve en continu adapté à leurs besoins. La Chine émane de tous les produits manufacturés qui composent la maison-salle de bain. Plus difficile à cerner qu’une poursuite en voiture. Je crois. Mais plus divertissant aussi. Tout cela pour tirer le meilleur parti de notre processus de production, gaspiller un minimum, et pouvoir emballer les articles en kit dans des paquets plats.. Est-ce que tu achètes ?

2 : ELLE

En me réveillant je me sentais plutôt bien dans mon environnement. Du soleil et de la lumière entraient en plein par la fenêtre, je pouvais sentir l’odeur du café posé sur la table du salon en chêne clair et noyer qui montait les escaliers. J’ai repoussé la couette super difficile à nettoyer. Pas de chlorage. Pas de séchage en sèche-linge. Repassage à température moyenne. Nettoyage à sec (solvants courants) et j’ai posé mes deux pieds par terre sur la moquette Ishia bleu lagon. Et je me suis redressée. J’ai attendu assise quelques secondes. Je me force à cette étape entre la station couché et la verticale depuis que j’ai remarqué que j’avais ces vertiges et c’est à ce moment là que je me suis aperçu que le miroir avait été déplacé.
C’est un miroir qui doit faire un mettre de haut, collé sur une sorte de planche de bois sculptée dans un style années 40 qui faisait à l’origine partie d’une coiffeuse mais que j’ai dévissé – ou plus justement que je n’ai pas revissée sur la table de la coiffeuse après le déménagement – et posé sur une table basse et appuyé contre le mur pour le surélever afin de vérifier mon allure de la tête aux pieds les jours où je décide à faire un petit effort vestimentaire qui nécessite un peu plus que d’enfiler un jean et un petit pull noir. Mais je n’ai pas les moyens pour la garde-robe de mes rêves INSERT PUB VOGUE, et je suis plutôt du genre tout ou rien. Du coup, le plus souvent, c’est rien.
Le miroir n’était plus sur la table basse noire Karlsadt mais posé le long d’une des deux penderies en lin avec armatures en bois de pin clair qui l’encadrent. Et tout est revenu.
Je m’étais levée pendant la nuit, ulcérée d’être encore réveillée par l’une de ces incontinentes envies de pisser, de celles qui ne vous laisse même pas hésiter entre si j’y vais pas je ne pourrais pas me rendormir et si j’y vais ça va me réveiller complètement et je mettrais des plombes à retrouver le sommeil après avoir descendu puis remonté l’escalier et allumé la lumière pour ne pas prendre de risques inutiles avec ces putains de marches dont le rebord de bois se révèle de plus en plus glissant au fil du temps. J’étais en colère et je me souviens d’avoir pensé que putain de merde je ne vais quand même pas pisser devant tout le monde comme ça parce qu’après tout c’est moi l’héroïne alors j’ai descendu le miroir pour rester cachée. Je me suis assise sur ce que je croyais être la lunette des toilettes. Et j’ai uriné. Comme ça coulait partout sous mes fesses et le long de mes jambes, j’ai attrapé un tas de fringues que j’ai coincé entre mes cuisses et le plateau de la table basse construite par un développeur produits, en visite dans une usine où l’on fabriquait des portes en panneau sur cadre, qui a eut l’idée de faire un plateau de table avec une telle porte. Ce type de construction – une structure en nid d’abeilles prise en sandwich entre des plaques en bois – demande une quantité minimale de bois pour un résultat solide et léger. J’ai donc bouchonné ces vêtements entre mes cuisses pour absorber l’urine à mesure qu’elle sortait de moi - INSERT REAL PIECE OF LIFE : exactement comme je l’avais fait après avoir accouché quand j’étais encore attachée à la perfusion fixée au mur et que le lit était trop loin pour je puisse atteindre la sonnette de l’infirmière. Sauf que là ça fait pas mal j’ai pensé. L’urine a coulé pendant ce qui m’a semblé de longues minutes et le soulagement m’a envahie avec son espèce de vague chaude et apaisante et m’a empêchée de revenir à moi tout à fait même si pendant un quart de seconde j’ai pensé merde je fais pipi dans la chambre. Une fois que j’ai eu terminé je me suis tout bonnement levée et remise sous la couette noire lavage à sec en rabattant rageusement le pan de tissus qui m’était dévolu sur mes épaules genre bon on va enfin pouvoir dormir maintenant !

J’ai regardé depuis le bord du lit, hébétée par tout ce qui me revenait de la nuit, le miroir aligné à la penderie et j’ai senti une vague de culpabilité monter qui s’est déroulée puis dissoute quand je me suis souvenue que j’étais absolument clean la veille. Héroïne bêta. Sevrage option popularité en cours. Et puis j’ai pensé que je n’avais peut être fait que bouger le miroir et que le reste n’était qu’un rêve. Mais lorsque j’ai avancé pour le remettre en place sur la table basse j’ai bien senti que la moquette était trempée sous mes pieds. Et puis j’ai vu le tas de fringues. Putain le peignoir chinois j’ai pensé. Ça m’a foutu en rogne parce que c’est un vrai qui vient de là-bas que j’ai trouvé à la Compagnie des Indes et qui m’a coûté un bras. J’ai tout descendu jusqu’à la machine à laver – sauf le peignoir chinois en soie sauvage - que j’ai mise en route immédiatement en me répétant que ce n’était qu’une crise de somnambulisme. Je me suis assise à la table du petit déjeuner et j’ai dit, il m’est arrivé un truc incroyable cette nuit. Il a répondu oui si c’est ce à quoi je pense c’était plutôt bizarre. INSERT RICHARD III. On ne pouvait pas trop détailler là devant les enfants - imaginez, oui maman a pissé sur la moquette de sa chambre cette nuit. J’ai donc du attendre jusqu’au soir pour avoir le seul témoignage objectif disponible au catalogue.

- Tu t’es levée d’un coup, tu étais en colère, j’ai dit un truc du genre du calme et puis tu as pris le miroir, tu l’as d’abord fait tombé et puis posé contre la penderie et tu t’es assises sur la table et t’as pissé.
- Et est-ce que j’ai parlé ?
- Non non tu n’as pas dit un mot. Et j’ai pensé c’est super long, ça s’arrête pas.
- Mais tu n’as rien dit ? Tu ne m’as pas appelée ?
- Ben non, j’ai pensé que t’avais trouvé un truc pour faire pipi là sans avoir à descendre.
- Un truc ? j’ai dit. Quel truc ?
- Je sais pas il a dit, ça avait l’air pensé.
- Pensé ? Mais j’ai pissé là et t’as rien dit ? Je sais pas moi si je te voyais en train de pisser sur la moquette en pleine nuit je t’appellerais il me semble, je dirais eh oh ! qu’est-ce qu’il se passe ? T’es bizarre quand même.
- Ben oui sûrement, mais tu m’as habitué à tellement de folie.
Alors là ça m’a scié. Un jour il me trouvera en train de découper un mec dans la cave avec mon sécateur à rosier et il pensera ben c’est pas grave elle va le remettre d’équerre avec la clef #7 et les 8 vis type AB7.
La morale du truc c’est que je n’ai plus de filet. J’ai complètement tordu le garde-fou. A tout instant je peux tomber. C’est de nouveau tout le temps la nuit. Le dormeur doit se réveiller.


3 : LUI

Comme le disait Mae Murray, nous étions semblables à des libellules. Nous donnions l’impression d’être comme suspendus dans les airs, sans effort apparent. Mais en réalité, nos ailes battaient très, très vite…

lundi 1 novembre 2010

NORD - Valeurs ajoutées


Mon livre Valeurs ajoutées est sorti le 28 octobre chez IMHO, dans la collection Et hop! dirigée par Eric Arlix.

On peut l'acheter ou le commander en librairie (il est distribué par Les Belles Lettres).

Les accros du cybercommerce peuvent le commander sur Amazon grâce au petit panier ad hoc.

C'est une fiction mais j'y parle aussi de la conception de l'éducation promue par l'image ci-dessus. Je me demande pourquoi j'ai pris cette peine, d'ailleurs, les intéressés comme on le voit en parlent très bien. C'est concis. C'est direct. Respect.

fm

P.S.: Lecture collective (axée Web-litt) le 6/11 à Rouen, où nous devons retourner en janvier avec Emma pour une perf. La lecture de samedi aura pour cadre la Librairie Polis.

jeudi 7 octobre 2010

NORD - ViP

Chloé Delaume à la lecture bilingue de Vanessa Place le 16 septembre à la librairie Violette & Co., dessin par le type qui tient ce blog: http://aleatoart.canalblog.com/.

La grosse tête au premier rang qui fait qu'on ne voit nulle part VANESSA PLACE à sa propre lecture, c'est la mienne. Il y a eu d'autres lectures à deux voix avec Chloé Delaume, le 18 à la galerie Aboucaya et le 21 aux Cahiers de Colette. J'ai assisté aux trois, pour des raisons qui me regardent (oui bon, d'accord, pour une raison ici représentée dans les a??res d'une initiation forcée et néanmoins successfull à l'exercice de la traduction simultanée), un peu roadie et un peu groupie. J'ai beaucoup appris, en tout cas. VP n'est pas de ces auteurs qui, fort légitimement, entendent garder tout ce qu'ils ont à dire pour leurs livres, elle parle aussi. Son sens de la performance (qui trouve chez CD un puissant écho, cf. vidéo Aboucaya) n'a rien d'un cabotinage à visée promotionnelle, j'y vois l'expression d'un art qui repose sur une dynamique action, réaction. Rien de révolutionnaire dans mon analyse, mais ça n'en reste pas moins fascinant à observer dans le détail.

Parlant de réaction(s), un journaliste d'un magazine moderne-littéraire-barbe-à-la-tondeuse-cheveux-au-vent a répondu aux éditions ère ne pas pouvoir parler d'Exposé des faits car le livre, d'après lui, sortirait du domaine littéraire. Je l'ai entendu dire en passant, ils n'en font pas une polémique, cependant moi ça m'intrigue. Mais bon. Vanessa Place, la malheureuse, a publié des essais en partie inspirés par sa pratique d'avocate, elle pousse l'effronterie jusqu'à participer à des projets artistiques. Vanessa Place a aussi écrit cet autre livre, Dies: A Sentence, dont le registre de langue se situe à peu près au niveau de Virginia Woolf ou de T.S. Eliot. C'est dire si elle ne sait pas ce qu'elle fait.

Mutant anachronique avant la lettre (il a quand même voulu réactualiser le drame en vers, ça ne s'invente pas), T.S. Eliot est donc probablement sorti du domaine littéraire quand il a expérimenté des collages de citations recontextualisées dans La Terre vaine ?

En anglais, The Wasteland : "le terrain-vague".
- - -
Come out and play.

vendredi 6 août 2010

NORD SUD - Florian range ta chambre! (épisode 7): Être professionnel, c'est un métier

"On a plus ce rêve de fonder une famille, d'avoir des enfants, un métier, des idéaux, comme vous l'aviez quand vous étiez adolescents." - Florian, 15 ans (in L'Effondrement du temps, éditions du Grand Souffle, 2006).



Les adolescents des années 80 avaient, semble-t-il, un sens de l'avenir un peu moins développé que ne le laisse entendre le jugement rétrospectif de Florian. L'univers du cinéaste John Hughes était déjà idéalisé, et pas qu'un peu. Pourtant cette séquence est assez vraie. Elle est tirée de La folle journée de Ferris Bueller mais le personnage qui donne son titre au film, un adolescent bigger than life, n'y apparaît pas (à l'exception de la dernière image). Entre les deux personnages qu'on voit ici, son ami/souffre-douleur et sa "fiancée", aucun "enjeu romantique" explicite. De là vient l'impression de relative spontanéité qui se dégage de la scène, voire même d'abandon - chose rare dans un Teen-Movie, genre tout entier fondé sur la question, taraudante à cet âge, du regard de l'autre.

Réalisé exclusivement avec du matériel d'époque, vintage on dit, notre hommage s'adresse aussi à Ed Wood, consacrant le primat de l'Idée sur la technique.

Pour en revenir aux années 2000, il semble que la redécouverte de "la jeunesse" occupe de plus en plus médias, politiques et publicitaires. A l'aune de quels critères prétendent-ils la juger, pour la déprécier ou, à l'occasion, la flatter? Mystère. C'en est un pour nous, en tout cas.

A SUIVRE...

mercredi 28 juillet 2010

SUD - (préfacé par le nord) Le Choix des libraires

J’avais trouvé dans Les Échos (que nous recevons à mon boulot, cela dit on peut penser ce qu’on veut, c’est là que se trouvent les vraies infos) une magnifique photo montrant de pauvres jeunes femmes assises en rang d’oignon face à l’objectif, l’air complètement désarmé, niais, surmontée d’un titre supposément estival : « Voici revenu le temps des stagiaires. » Ce devait être le post du mois de juillet. Je ne comptais pas inclure l’article lui-même. Il offrait pourtant un contraste non dépourvu d’intérêt avec la photo, puisqu’il y était question de stagiaires aux dents longues (parvenant ou non à supplanter tel salarié titulaire, chef de service, etc.) qui étaient tous des hommes, à l’inverse des potiches sus décrites. Pour finir, mon Olive favorite a flanqué le canard à la benne, à la faveur d’un tardif et néanmoins énergique nettoyage de printemps. J’ai donc demandé à Emma la permission de poster à la place un lien vers une des ses récentes chroniques radio, enregistrées pour « Le Choix des libraires ».


L’écrivain écrit pour un lecteur idéal. Au sens grec, j’imagine. Le lecteur auquel ont affaire les commerciaux et les représ est un lecteur modélisé ou construit. Un bon éditeur navigue à vue entre ces deux images : de la cible à mon semblable, mon frère. Les seuls à vivre quotidiennement au contact du lecteur concret, en chair et en os, sont donc les libraires. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils en font parfois un complexe. Cette spécificité, en dépit de tous les beaux discours, les isole au sein, ou plutôt au bout de la fameuse « chaîne de l’édition ». On ne leur pardonne jamais tout à fait non pas leur rôle de prescripteur, mais ses limites. Je sais qu’à la rentrée (en octobre plus exactement) Emma fera de son mieux pour vendre mon livre. Je sais aussi qu’elle ne pourra pas le conseiller à n’importe qui. Certes, nous savons elle et moi qu’il pourrait, en fait, être lu par des gens qui ne se croient pas capables de le lire… Sauf que là on parle long terme. On parle dialogue au long cours. On parle abolition progressive des préjugés et des inhibitions. Le libraire peut inciter les gens à élargir leurs horizons, il n’est pas, pour autant, un hypnotiseur. Il ne serait pas bon qu’il le soit. On a plutôt besoin de lecteurs adultes, aujourd’hui.


Emma me pardonnera, je pense, de souligner qu’elle n’a jamais été à l’aise avec les gens (ces fameux « gens », on y revient toujours) même à distance. Sur l’enregistrement effectué pour « Le Choix des libraires », on sent qu’elle se fait violence. Elle est encore moins à l’aise qu’au moment d’enregistrer ses parties de voix pour Les Secrets de leur cerveau — sur un micro qui, pour une raison depuis oubliée, était posé par terre. Comme disait Bowie, le rock (ou n’importe quoi d’autre fonctionnant sur le même esprit) c’est pas le boulot le plus difficile, on peut toujours s’envoyer un rail ou une vodka avant d’y aller. Or Emma fait ici son boulot de libraire, c'est-à-dire qu’elle présente un livre, souligne ses qualités, mais n’est pas en position d’accomplir un travail critique hyper poussé qui lui permettrait de se mettre elle-même en valeur. C’est très ingrat, comme job. Surtout pour une artiste qui a beaucoup à dire. Elle est cependant bien placée pour savoir qu’il est nécessaire. Moi en tout cas, je sais quel bouquin je vais emporter en vacances :


http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-91351-antibes.htm


Le titre fait vacances, c’est sûr. Et si ça ne me plaît pas, à la prochaine conjonction nord-sud, c’est qui hein qui paiera sa tournée ?


f.m.

mercredi 30 juin 2010

NORD - "Moi je suis l'antéchrist", mon hommage à feu l'impressario des Pistolets Sexuels

Intense travail de révision sur le manuscrit de mon roman à paraître. En attendant le lien sudiste vers les récentes prestations d’Emma à la radio, nouveau détour par Berlin et la librairie Zadig. Qui m’a commandé une nécro de Malcolm McLaren, connu surtout pour avoir été le manager des Sex Pistols, théoricien de La grande escroquerie du Rock’n’Roll. Mon texte n’est sans doute pas un joyau littéraire (pour notre dernier boulot solide en date, voir le post de mai), néanmoins j’espère qu’il remplit son office. La prochaine étape pourrait être La grande escroquerie du futebol, nécrologie in vivo de Raymond Domenech. Un système bien pourri, industrie musicale ou mafia sportive, trouvera toujours son paratonnerre de chair et d’os. Très malin ou juste très paumé. MacLaren était plutôt malin. Un rien trop honnête. Pas dans le pathos malgré tout, donc non disposé au martyr. J’ai eu la chance de pouvoir recueillir sur lui quelques infos de première main auprès d’une des ses amies, la journaliste franco-britannique Claudia Bear. Elle m’avait suggéré d’intégrer à mon petit article l’hommage rendu à MacLaren par Jean-Charles de Castelbajac, leur ami commun, ce qui était impossible pour des raisons de format. Je le reproduis finalement ici.

Brother of Arms Jean Charles De Castelbajac.
« Il est le frère qui m'a appris que transgresser faisait progresser, que la laideur pouvait se nommer beauté, que la perfection pouvait être dangereuse, que la mode était un medium puissant, que l'amitié pouvait rimer avec silence, et que "anthenticity vs karaoké" était le résumé de ce début de XXIème siècle. L'intelligence est impérissable, il est donc immortel, dans mon coeur en tout cas. »
Jean-Charles

Castelbajac, pour moi, c’était Elli Medeiros dans les années 80, très légèrement vêtue aux couleurs du drapeau uruguayen. Le monde de la mode, celui (ceux ?) de l’art contemporain m’ont toujours paru assez mystérieux, voire menaçants. Dans le texte pour Zadig j’ai écrit : la plupart de nos figures publiques ne sont pas pauvres. Ce n’est bien sûr qu’un aspect de la question. Tout le monde traite tout le monde de bobo, je trouve ça drôle. On se traite soi-même de bobo, par principe. Alors qu’on a du mal à payer le loyer. Le terme « bourgeois » est employé par chacun différemment. Une « scène » un peu élitiste à la Warhol est-elle bourgeoise ? L’anticonformisme est-il un luxe ? S’il y a là un genre d’équation à résoudre, je pense que l’hommage faussement banal de Castelbajac renferme, mine de rien, plusieurs de ses données. Marc E. Smith prétend que la Working Class et l’aristocratie, au sens large, ont en commun d’avoir leur propre sens de l’humour, et une bonne descente. Je suis moi, je crois, un pur produit de la classe moyenne. Méfiant. Bilieux. Chicaneur. Envieux, la plupart du temps. Pas loin d’être satisfait quand on me donne, eh bien, du pain et des jeux. Je me soigne. Dans la mesure du possible.

fm

Malcolm MacLaren (1946-2010) :
http://www.zadigbuchhandlung.de/modules.php?op=modload&name=zpages&file=index&req=voir&id=37&titre=In%20memoriam%20Malcolm%20McLaren%201946-2010

lundi 24 mai 2010

NORD SUD - Les Secrets de leur cerveau (Florian range ta chambre! 6+) : la même, avec nos borborygmes lisibles noir sur blanc


Latest tracks by Mutants Anachroniques

PREMIÈRE SEMAINE


À travers le carreau cassé de la perception approchait son rasoir — un traitement de pointe.

« Il croit que je sais rien du tout mais je sais ! »

(Au temps de l’adolescence les têtes ne sont pas tout à fait finies.)

Cruelles et affamées, pensa-t-elle encore, lui étendu sur un matelas mince, renfoncé dans ce visage : c’était là plutôt suivre des visions que de s’attarder aux draps sales, ce plaisir éprouvé à dépasser les bornes et le goût immodéré pour le sexe dont elle usait pour leur faire aimer des diagrammes montrant les bons gènes en verts et les mauvais en rouge.

(Ou bien était-ce l’inverse ?)

(Était-ce lui qui… ?)

Sur son profil elle cocha la case : « C’est compliqué. »


Ensemble ils l’examinèrent froidement, pansèrent ses blessures — « Toutes ces idioties sur les germes ! » —, séduits par son corps et ses muscles recouvrant les os pointus, durs comme le diamant. Frottèrent leurs instruments rudimentaires sur la fine couche de chair. Une façon d’agir relevant moins du lobe préfrontal que d’un égarement romantique dont la couleur, dans notre monde, s’est perdue au Brainwashing. Du genre :

« Je sais quand il va mal. »

« — Mais aussi, se justifie-t-elle, qu’est-ce que j’y peux s’ils me veulent tous comme maman ? »



DEUXIÈME SEMAINE


L’audace de leur méthode réside en ce qu’elle ignore superbement la distinction habituelle entre neurologie, étude du génome et vivisection : « Toute cette histoire d’ADN, il ne faut pas en faire une montagne, tu comprends ? » L’ère de la génétique théorique touche à sa fin. Alors qu’une génétique appliquée, pratique ou, plutôt, pragmatique, est elle appelée à fonctionner sur le principe, disons, des test de QI. C'est-à-dire qu’une fois définis un certain nombre de critères — ce qu’est l’intelligence, ce qui peut être considéré utile, — les aspects techniques et méthodologiques suivront pour ainsi dire d’eux-mêmes.


Florian ignore qu’une autre chose — tout à fait le profil d’un récidiviste, ivre de haine : un instrument long et fin — a été introduite dans la partie haute de ses orbites oculaires. Alors commence le lent et méthodique rituel. Avec sa voix au téléphone m’apparaît le pourquoi de leurs difficultés à évaluer les risques, à se motiver. Petite chose terrestre, une compassion prémonitoire m’envahit à l’idée de ce qui pourrait t’arriver — un tressaillement de bonheur.

Mais non. Nous allons te guérir (« Soit dit en passant : pourquoi s’arrêterait-on au soulagement du désespoir si l’on peut apporter des améliorations mentales, physiques ou comportementales ? »). Et tu nous aimeras.


Le « dégraissage » du cerveau est en marche. Tout le monde dehors.



SIXIÈME SEMAINE


Traînant leur sac à dos, leur lecteur CD vintage et leur portable plein à craquer du cerveau tailladé de Florian, décrivant ensuite des cercles avec le pic à glace (excellent antidote aux déviationnismes de tout poil), lui demeure l’éternel perfectionniste (parfois même il procède à l’introduction simultanée de deux pics à glace, un dans chaque main), elle trop enfantine.


Vite les comprimés de joie — comprimés de suite : le Sexe et le Plaisir vous recevez. L’os de l’œil est la partie du cerveau qui responsabilise les ados. Il est capable de dire : « Je vais serrer une ceinture en éponge autour de son cou taché, qui la recouvrira. »

« — Ce que j’admire le plus chez notre fils (car c’est un peu ce qu’il est, n’est-ce pas ?) C’est son cynisme. »

Les ados se trompent en interprétant les signaux émotionnels. L’esprit, conçu pour voir au-delà des apparences, devient un instrument inutile au temps des complots à ciel ouvert.



NEUVIÈME SEMAINE

Jour 4


« Note additionnelle : On remarquera que telle zone cérébrale chez les nouveaux sujet trahit une moindre excitation, comparé aux résultats obtenus encore à la fin du précédent millénaire, quand exposée à des stimuli comme l’audition de musique. La faute sans doute à tout ce, hum, comment dire — ici on entend l’opérateur trifouiller avec un bruit peu ragoûtant l’intimité de l’opéré — câblage… »


Position du nez — les yeux ne sont pas assez le véritable cauchemar, peut-être ? (La destruction de mes canaux lacrymaux, rumine-t-il en réajustant son impressionnante paire de lunettes, des lunettes de glacier munies sur le côté de coques en cuir, vos larmes sont de mauvaise qualité, m’ont-ils dit, elles sont mauvaises, mais qu’est-ce que j’y peux moi si leurs putains d’écrans sont PARTOUT !) Dans ma tête je nous lisais comme « un exemple de reconversion réussie », mais là, putain, c’est trop. Ta tristesse chimique empoisonne ma vie.

VLAN !

Elle sait qu’il va revenir, encore et toujours dans un mouvement circulaire. Elle fixe la porte et attend, dans le plus pur style ado avachi. (N.B. : la substance grise, composée de neurones, et la substance blanche : les fibres nerveuses, continuent de subir d’importantes modifications structurelles bien après la puberté…) Prête à sortir son couteau acéré sur le marché de la génomique personnelle.



NEUVIÈME SEMAINE

Jour 5


L’homme aux verres miroir, de plus en plus convaincu de son instabilité, la tire de son sommeil. Le tissu collé à sa peau a des réalités qui saignent encore. S’approcher d’elle et tirer le drap. Agréable, animé surtout par les vertus domestiques. La lumière filtrant, l’apparition d’une pilosité aux aisselles et au pubis vit en elle.


Carreaux d’eau froissés — mouvement dorénavant ondulatoire et bleu d’orgone.

« Je ne sais pas, dit-il. C’est le cadre. J’ai l’impression de le charcuter sur l’établi de pépé. L’équivalent temporel de l’effet Doppler. Ses vibrations nous parviennent de plus en plus près, puis de plus en plus loin.

— Plus ou moins rapprochées les unes des autres. Objectivement tu n’y es pour rien. C’est lui.

— Et aussi nous vieillissons. Mais pas de façon linéaire. »



SEMAINES 10 à < ? >


Florian toujours à la cave. Du pus nauséabond coule de sa cervelle boursouflée mutée en corps caverneux.


Son calvaire durera jusqu’à une expression sentimentale, qui pour finir lui colle sous un sparadrap une gélule de vitamine E sur la joue et une autre dans chaque oreille. Enfin c’est arrivé. La bouche a plus de précision. On y trouve une grande expression de bonté, mais aussi les drogues, le rock’n’roll et les âmes dévorées de Jeter. Point, ici, d’individu mais un processus, qu’il est permis de modifier, ni inaliénable ni « sacré » (— Car enfin qu’est-ce qui décide du caractère sacré ? L’évolution est parfois très cruelle ! Qui a donné des droits aux chiens ? On a déjà les droits de la femme, les droits de l’enfant, etc. C’est à n’en plus finir ! Il faut remplacer « droit » et « sacré » par « besoins ».)

Autant dire que le Nobel est proche. Les deux « stars américaines » de la génétique se congratulent, la joie née de la conscience qu’ils ont d’avoir fait une découverte capitale les subjuguant au point de leur ôter toute retenue. Elle surtout : ses accès de colère, le goût du risque auquel elle est rivée naissent du même « programme », raccourci.

(Son programme à elle ne prévoit aucune sortie de crise.)


(…)


Santé, généalogie : vos gènes dévoilés pour 1000 dollars. Une dose de bonheur matin et soir. Trop d’accidents fleurissent nos routes. Désormais il sera possible de prévoir puis de suivre pas à pas (et en couleurs) les délires des éventuels futurs candidats aux illuminations rimbaldiennes, dont la calebasse n’est tout bonnement pas finie — c’est ça qui rassure. Notre méthode, ayons l’honnêteté de le concéder, ne saurait totalement endiguer l’inquiétude ressentie par nos jeunes à l’approche de la destruction finale de la planète, susceptible d’engendrer chez certains le genre de dérives caractérielles que nous avons observées chez notre principal sujet d’étude. L’évolution sera prévisible, les dérapages contrôlés, et, afin de prendre en charge les cas désespérés, la nouvelle limite pour l’avortement des fœtus fixée à 27 ans. Très prochainement nous devrions ainsi voir se mettre en place l’équivalent d’un système de prévention des pluies à l’intérieur des limites (physiologiquement détourées) du raisonnable.

À cela près, cette attitude que connaissent si bien les parents — rites d’initiation désormais surveillés à l’aide de puissants appareils à résonance magnétique — ne fera que commencer.


mercredi 21 avril 2010

NORD SUD - Florian range ta chambre! épisode 6 (audio): Mutants Anachroniques vs. Ghaal Von Drak


L’actualité NORD c’est un texte de Frédéric publié dans le n° 6 de la revue TINA. L’actualité SUD c’est Emma qui bovaryse comme il convient à sa fonction/constitution. L’actualité NORD-SUD c’est la mise en ligne du fruit de notre collaboration avec le mystérieux Ghaal Von Drak, Les Secrets de leurs cerveaux ― tout beau, tout neuf, un des meilleurs trucs qu’on ait écrit ensemble :
http://soundcloud.com/mutants-anachroniques
En plus on est jolis sur la photo...

lundi 22 mars 2010

NORD SUD - Lettres édifiantes (suite), la position du missionnaire: après l'effort le réconfort

« M'étant trouvé dans une de ces Missions pendant la Semaine-Sainte, j'eus la consolation de voir dans l'église plus de 500 [Indiens] qui châtiaient rigoureusement leur corps le jour du Vendredi-Saint [en] l'honneur de Jésus-Christ flagellé.... Mais ce qui me tira des larmes de tendresse et de dévotion, ce fut une troupe de petits Indiens et de petites Indiennes, qui les yeux humblement baissés, la tête couronnée d'épines, et les bras appliqués à des poteaux en forme de croix, imitèrent, plus d'une heure entière dans cette posture, l'état pénible du Sauveur crucifié qu'ils avaient sous les yeux. »

mercredi 10 mars 2010

NORD SUD - On s'appelle Mutants Anachroniques oui ou merde?

« SANS PARLER du tort que vous faites à VOS MAÎTRES en les PRIVANT DE VOTRE TRAVAIL, vous n’entendez point la messe les jours saints ; vous n’approchez point les Sacrements ; vous vivez dans le CONCUBINAGE, n’étant point mariés devant vos légitimes pasteurs… »


In Lettres édifiantes et curieuses, écrites des Missions étrangères, par quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus. A Paris chez Nicolas Le Clerc, ruë Saint Jacques, proche Saint Yves, à l’image Saint Lambert. M.DCC.III [-M.DCC.LXXVI.]

jeudi 11 février 2010

NORD SUD - Retour à Carthage, Mutants Anachroniques vs. YSOGOL


CARTHAGE-VIDÉO est l’un des textes qu’on a lus chez Mycroft, ça fait déjà un bail — tiens : 2 ans presque jour pour jour ! Ce texte a aussi inspiré 3 morceaux à YSOGOL, le troisième étant plutôt un collage d’ambiances posant les bases d’une B.O. imaginaire :
http://www.myspace.com/mutantsanachroniquesvs
Ça c’est pour la musique. Pour ceux de nos très honorables visiteurs qui ne connaîtraient pas le texte lui-même, où ne s’en souviendraient pas, nous le repostons ici...

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Je vais, en l'absence de mon Dieu, conter au long et au large l'année vingt-neuvième de mon âge.

J'arrivai dans cette ville avec des fantasmes de proximité — le cloisonnement étant politique. Les artistes y rigolaient, sillonnant les rues à bord d'une Mercedes ou encore baisant chez eux devant la photo du chien, sans parvenir à soulager l'auditeur du poids d'un imaginaire germé entre les pages people de Gala. Quant à moi — avide misérablement de me gratter au sensible — j'étais sans appétit pour les aliments inrockuptibles.

C'est donc dans un mauvais parfum de conformisme pépère et d'intolérance franchouillarde que, pendu à mon bout de chair, je tendis mon cul en forme de tête d'insecte vers l'habitation voisine — se soulevant énormément pour qu'on voit bien que ça rentre et que ça sort —: espace public sans bannière, mais avec intertitres poético-licencieux. Là je tombai sur des individus en proie au délire d'orgueil, charnels à l'excès et bavards.
J'entrai dans cette industrie comme dans une boucherie —
Ô mirages de corps,
corps truqués !

/////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////2

« Les culs seront japonais ou ne seront pas », déclarai-je pour garder une contenance.
J'en profitai pour scruter cette espèce de troisième pied — la dernière contemporanéité du corps — tandis qu'il s'enfilait sa capote comme un Adonis qui n'aime que lui-même. Je fus alors en grand émoi à l'idée que j'allais être contraint par nécessité de déposer ma charge sur le champ.
Il était avant tout Français, et très nationaliste de surcroît — d'où son air dégoûté et critique envers la touche « avance rapide » et mon sourire blanc… Ah, comme je m'en voulais d'être moins dans le besoin !

C'était en mai 98 — on a décidément les révolutions qu'on peut.

Je poursuivis ma visite. Le but recherché était de me sortir de l'environnement qui m'étouffait et d'avoir l'assurance de passer des moments inoubliables, de découvrir des plaisirs nouveaux et exceptionnels — mais les femmes étant coupées en deux, la pointe de mon intelligence ne pénétrait pas dedans. Aussi ouvris-je le catalogue des Derniers Etats du Corps publié par les rêves fétides de perfection surhumaine crypto-nazie.

Voici ce que j'y lus :

« Si l'on fait l'amour comme l'on a envie de le faire avec des cariatides électroniques rasées du pubis et carrossées chez Leni Riefenstahl, toutes les beautés inférieures que sont les lépreux sans crécelle de la classe moyenne arrivent sans prévenir, mais quand même prévenantes. Ils ne dissocient jamais l'action de la description méticuleuse, usant de leur langue inventive et con jusqu'aux derniers états de la pensée. »

J'allai donc de ce pas louer un des ces films pour hétéros où le cul est clinique. On y voyait — tournez-vous si ça vous gêne — une Américaine aux ongles hyper longs, hyper fluo, se faire enculer à mort par deux femmes en une seule : l'une énergique, indépendante et aventureuse, qui s'efforçait de trouver le bonheur, l'autre paralysée par la peur, par un sentiment d'insécurité, par la crainte de ne pas être à la hauteur avec ce bouchon en liège recouvert d'un préservatif mal ajusté à l'extrémité de l'appareil.
Il était déjà évident que leur relation ne marcherait pas — et, après les derniers déchirements de la fiction, je sus que rien de ce que je pourrais faire n'y changerait quoi que ce soit. Mais nous choisissons bien souvent d'ignorer les avertissements de simple bon sens que nous prodigue notre voix intérieure.

/////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////3

Écumant les plateaux à la recherche d'un rôle qui ne serait pas en contradiction avec mes principes (s'accorderait avec les recommandations de mon thérapeute et ferait de la pornographie cette chose magnifique qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être), j'avisai la même actrice — celle aux deux visages — en train de se faire sodomiser par une grue de voirie.
C'était l'occasion que j'attendais (effectivement touché de loyale et sincère miséricorde, je pouvais même souhaiter qu'il y eût des misérables pour donner lieu à ma miséricorde).
Je lui avouai alors désirer avoir une relation stable avec elle, ou du moins essayer — si elle était d'accord bien sûr. Je voyais bien que la relation dans laquelle elle était présentement engagée la faisait souffrir, et qu'elle n'arrivait pas à s'en libérer — les femmes ne pouvant pas avoir de regard cynique sur ce qu'elles sont en train de faire, il faut les coloniser sur une idée de sentiment.

Dans les premiers temps suivant notre rencontre, je la vis devenir progressivement plus forte et plus indépendante — plus à même de voir ce qui lui faisait du mal. Elle parvint même à divorcer d'avec sa grue.

Las ! J’avais sous-estimé son degré de dépendance affective et sexuelle… Un jour, sur la petite plage privée de la vidéo où nous jonglions avec la quille romance et la balle sexe, je la vis courir se placer au centre d'un cercle de partouzeurs.
En dépit de ma propre souffrance morale, je posai sur eux un regard impartial et fis le constat de la totale absence de mélange — tous blancs, si sinistrement —, l'ordinaire de ces hommes consistant sans doute en de pauvres filles chez qui tout trahissait une profonde identité franchouillarde d'apprenties coiffeuses et sur lesquelles ils se vengeaient, sur le mode du coït industriel, des surgelés pas très frais de la veille. Quel dégoût m'inspiraient ces méduses bio-luminescentes ! Le soir même, je décidai de renoncer à ma carrière et quittai cette ville maudite, seul.

Elle avait fini par mourir, ma mauvaise, ma criminelle adolescence ! Au bout du compte, dans le porno, il n'y a que de la physique — et je trouve ça terrible.

jeudi 7 janvier 2010

SUD - Etude pour un concept album.

1A
Un point de côté, à peine plus. Un stigmate invisible à l’œil nu à l’endroit où j’ai découvert qu’une autre t’aimait et que tu l’aimais en retour. Bien vite cautérisé par sa trahison. Toi comblé, j’aurais eu béant, un gros trou rouge sous la jupe. Là, ça ne se voit pas. Je peux tout à fait aller à la piscine, mettre un maillot de bain sans attirer les regards curieux qui feraient semblant de regarder ailleurs en fixant l’aimant de la plaie.

2B
A ce point passer inaperçu alors que le monde danse. Quelque part j’ai du mal faire.

C3
Y’a du sang partout. Tu t’es fait mal dans la salle de bain ?

D4
Comme Juliette je suis amoureuse d’être amoureuse. Jumelle par artifice, juste pour te plaire, une histoire arrangée comme une bouche peinte. Je sais que je ne t’aime pas. Je te désire, tu apparais. Je frotte la lampe d’Anaïs.

E5
Ton tréma me dit ho hisse. Pour rien je crois. Juste pour vérifier si je prends une fois encore la peine de me hisser jusqu’au sommet de ton torse. Ça marche à chaque fois.

F6
A force de gueuler dans le noir je ne produis que du silence.

7G
J’ai mal là où tu m’as touchée. Parfois.

8H
‘reaching the high end of low… Tu fredonnes. Le balancement de tes hanches épouse le mouvement basse/batterie.

9I
J’écoute tes disques. Je me surprends à parler comme toi. J10 Je t’aime ad libitum. Juste parce que tu n’es pas là et aussi parce que ça fait joli.

11K
Tu t’es choisi un nom que je ne peux pas prononcer. Sous peine de mort.

L12
Monsieur de Seingalt. A ton doigt je suis chevalière des tropiques plus que poupée de salon.

13M
Miroir mon beau miroir, Dis-moi que je suis La plus…

N14
Tu t’effeuilles et puis rhabilles ton tronc nu. Tu rallumes, tu hésites.
Anaïs. Le N un L, le A un O.
Ton non de code qui veut dire oui.

O15
Tu effaces ton profil. Reste des réponses où figure ton prénom à des messages dont les questions ont disparues. Et ta page où tu barbouilles le sang qui te sort du cœur puisque sur cet organe le pansement ne tient pas : trop humide.
Je te vois enfin de face.

P16
‘scuse me ?! Sorry ! Can you tall me how to get to hope road please ? (With strong cockney accent).

17Q
Le cul n’est pour moi que l’initiale du quotidien. J’attends beaucoup plus.

18R
Penchée sur ton cahier tu ne me vois pas debout derrière ton dos. Je regarde ta nuque. Et deux secondes – 1, 2 - j’hésite entre le sabre et le baiser.

S19
Nous sommes devenus amis en juillet, ce joyau qui pend à l’oreille d’une nubienne et lui caresse la joue de son éclat diamantin. Tu t’appelais alors Roméo.

T20
Je me suis réveillée dans ton lit ce matin du premier jour de l’année. Tes pèle-mêles au mur m’ont fait sourire jaune. Tes peluches crades, je les ai trouvées moches. Ton père nous a prêté la maison. Il est à Oklahoma city jusqu’à demain. Quand l’océan a sauté la barrière et pénétré dans le jardin – comme un qui se coule dans le recoin d’une porte pour mieux épier – sans pitié aucune pour le vieux chien ventre gonflé baudruche à quatre pattes à la surface, je n’ai pas eu peur, je n’ai rien fait. Je ne me suis doutée de rien. J’ai fixé le bout de mes pieds, longtemps, et l’eau qui affleurait au bout des semelles parce qu’il n’y avait plus d’horizon.





U21
Ce que je fais là, c’est que je te tue et toi tu ne te doutes de rien, tu ne sais même pas que tu es en vie. Ma chose, mon amour, ma chimère.


22V
Anaïs a deux faces. Et c’est pile le bon côté de son petit personnage.

W23
Ce n’est pas évident de se jeter comme ça à la tête d’un auteur. Je me suis dit, elle va se sentir empêtrée avec ça, elle ne saura quoi pas en faire après qu’elle se sera donnée un peu de lustre avec ma brosse à reluire. Elle ne comprendra rien ni ce que ça a de capital. L’histoire, elle va tomber à côté.
Une déclaration ça doit être désiré. Tombée du ciel, ça s’écrase.

24X
Je rêve de toi toutes les nuits. Toute une vie qui se tient ailleurs.
Peu savent qu’il faut sortir de son corps pour jouir. Avec toi tous les soirs je fais des NDE.

Y25
Tous les jours je porte du rouge à lèvres, des talons aiguisés, des griffes peintes, des robes qui laissent tout deviner, des bagues serpent, du fard pour faire s’échouer les marins et un joli petit rire qui découvre les crocs limés de mon vouloir toi.
Tout ça est totalement gratuit et disponible à l’instant même où je passe la double porte de l’ascenseur.

26Z
D4, G7, 11K… Ni touchée ni coulée ! Dans l’ordre comme dans l’autre.
Je suis un grand éclat de rire.
Je sautille sur ton porte-avions.