dimanche 4 décembre 2011

SUD - Aussi isolée qu'une île entourée de sa propre mer.





Extrait de On balance, Adam Phillips – pp. 213-225, Pingouin Books 2011.
Traduction ©Emmanuelle Moulin-Desvergnes.

Photos ©Diane Arbus.

Tu sais comment tu sais que quelqu’un ment ? demande-tu.
Ils racontent la même histoire à chaque fois, jusqu’au dernier mot.
Alors que quand ils disent la vérité, ça n’est jamais la même chose deux fois de suite.
Ils reformulent.
Ciaran Carson, The Shadow.

Moi, freak d’Arbus
... car nous avons le droit d’être séduit.
Dave Hickey, The Invisible Dragon.

S’il est trop souvent dit à propos de Diane Arbus qu’elle photographie des phénomènes de foire, cela suggère que nous savons au minimum de quoi les gens normaux ont l’air, de quoi les gens ont l’air quand ils ne sont pas étranges. Il est rassurant que l’on nous rappelle que nous ne sommes pas tous des phénomènes de foire, mais aussi que nous reconnaissons un laissé pour compte quand nous en voyons un. Il existe bien sûr des points de vue, des angles, à partir desquels nous pouvons tous avoir l’air de marginaux nous-mêmes ; et Arbus, de facto, est particulièrement volubile à ce propos et au sujet de la façon dont l’appareil photo réussit à saisir la perspective non désirée. Mais l’enthousiasmant malaise que génère le travail d’Arbus et le plaisir que nous avons à le regarder a quelque chose à voir avec notre soif de savoir ce que ça doit être d’être quelqu’un comme ça ; et de même, ce qu’est d’être des gens comme nous qui ne sommes pas marginaux pour quelque raison que ce soit– et Arbus en était elle-même la preuve - mais qui sommes fascinés par eux. En effet, nous voulons des photos et des expositions d’eux et nous attendons quelque chose de leur représentation que nous ne voudrions pas d’eux en personne. Les photos de ces gens, ou plutôt la façon unique qu’a Arbus de ne pas détourner le regard satisfait quelque chose en nous. Elle n’a pas, cela devrait être souligné, créé de mode à partir de son sujet, mais à partir de ses photos. Les photos d’Arbus, peu importe ce qu’elles produisent d’autre, créent une sorte de sociabilité indirecte avec des gens dont nous devinons que nous ne pourrions pas les fréquenter.

L’une des choses les plus intéressantes à propos de la photographie en tant qu’art relativement nouveau est que le discours des photographes à propos de leur travail constitue également un genre relativement nouveau. Et Arbus, à ce qu’il me semble, était exceptionnellement bavarde ainsi qu’exceptionnellement enthousiaste et bien disposée à énoncer clairement ce qu’elle pensait être en train de faire, on ne peut plus attentive à ce que ce discours soit une forme d’échange bien singulière.
Quand Arbus parle de son travail, elle évoque très souvent la photographie comme une forme de sociabilité. «Certaines images, sont de timides incursions sans que vous vous en rendiez compte». L’appareil bien sûr, donne une raison au photographe de se mêler aux autres et l’appareil est comme un sauf-conduit, une «licence», comme elle le dit, pour l’imprévisible.
Avec qui l’on peut être ou ne pas être est limité pour elle à ce que l’on peut ou ne peut pas savoir des gens. Comme un certain type d’artiste moderne, elle pense les intentions en termes de mots de passe qui vous donnent ce que vous n’auriez jamais espéré ; et elle situe le mystère qui lui importe le plus, son mystère préféré, dans ce qui n’est pas familier (la famille étant l’endroit où l’étrangeté commence). «Je me souviens d’un été» écrit-elle :
«Je travaillais beaucoup à Washington Square Park. Cela devait être en 1966. Le parc était compartimenté. Il avait ses promenades arrangées en rayons, et il y avait ces territoires jalonnés de gens. De jeunes hippie-junkies étaient en bas d’une allée. Des lesbiennes étaient en bas d’une autre, très costauds, de fascinantes lesbiennes hardcore. Et au milieu se tenaient les poivrots… Ils étaient comme le premier échelon et les filles qui arrivaient du Bronx dans l’espoir de devenir des hippie-junkies devraient coucher avec les poivrots pour accéder à la partie occupée par les hippie-junkies. C’était vraiment remarquable. Et j’ai trouvé ça vraiment effrayant. Je veux dire, je pourrais devenir nudiste, je pourrais devenir un million de choses. Mais je ne pourrais jamais devenir ça, quoi que ces gens aient pu être. Il y avait des jours où je ne pouvais absolument pas travailler et puis des jours où je pouvais. J’ai appris à connaître certains d’entre eux. J’y ai beaucoup traîné. Ils étaient tout à fait comme des sculptures amusantes. J’avais très envie de me rapprocher d’eux, alors j’ai dû leur demander si je pouvais les photographier. Vous ne pouvez pas devenir proche de quelqu’un à ce point là et ne pas dire un mot, alors je l’ai fait.»


Je considère cela comme une parabole d’Arbus en tant que photographe. Il existe un matériau biographique bien connu qui semblerait donner un certain sens à tout ça, quelque chose à voir avec le souvenir d’Arbus d’être exclue, à part, dans l’opulente famille juive où elle a grandi. «Une des choses dont j’ai souffert enfant» dit-elle, «était de ne pas connaître l’adversité. Je me sentais coincée dans un genre d’irréalité que je pouvais ressentir comme de l’irréalité et cette sensation d’immunité était, aussi absurde soit-elle, douloureuse… Le monde semblait appartenir au monde. Je pouvais apprendre des choses mais elles ne paraissaient jamais être ma propre expérience.» L’essentiel du souvenir est son sens impérieux qu’il existait une autre chose vers laquelle elle avait besoin d’aller, un autre genre d’expérience, quelque maladie nécessaire dont elle aurait été immunisée. Il n’est guère invraisemblable qu’elle n’ait jamais ressenti l’adversité étant enfant mais probable qu’elle ait ressenti rétrospectivement n’avoir jamais connu l’adversité qu’elle voulait. A Washington Square Park., en 1966, le monde paraissait appartenir au monde à nouveau, elle n’en faisait pas partie. Et ce par quoi elle est intéressée dans le groupe qu’elle observe est la façon dont des gens si différents peuvent être ensemble. «Et les filles qui arrivaient du Bronx dans l’espoir de devenir des hippie-junkies devraient coucher avec les poivrots pour accéder à la partie occupée par les hippie-junkies.» Et Arbus énonce clairement qu’elle a atteint ses propres limites, l’horizon de son ambition. «Je pourrais devenir des millions de choses. Mais je ne pourrais jamais devenir cela, quoi que ces gens aient pu être». Mais ce que nous ne pouvons être, nous pouvons le photographier, nous pouvons nous en rapprocher. Et la manière de devenir proche d’eux est de leur demander quelque chose : «Vous ne pouvez pas devenir proche de quelqu’un à ce point là et ne pas dire un mot, alors je l’ai fait.» Si l’on demande aux gens une photographie d’eux, on leur demande de nous en donner une, pas de nous laissez la prendre. Arbus – pour une raison qu’elle n’avait pas besoin d’expliciter- voulait se rapprocher de ces gens, « quoi que ces gens aient pu être » et la manière d’y arriver était de leur demander de les photographier : des mots pour des photos. Mais dans ce processus – et je pense que la parabole est réfléchie, sciemment ou inconsciemment, pour nous obliger à nous poser la question : qu’est ce qui fait la photographie ? - si son travail, si l’appareil photo est un brise glace, ou une façon d’avoir quelque chose à faire avec ces gens qu’elle ne pourrait jamais devenir, de quoi sa photo est-elle la photo ? Si nous prenons Arbus au mot, les photos naissent d’une impossible aspiration : «Mais je ne pourrais jamais devenir ça, quoi que ces gens aient pu être.» Ils sont le constant rappel, les pense-bêtes qui permettent dire cette proximité contrariée, le lieu où la sociabilité s’arrête. Nous ne pouvons pas être avec ces gens et c’est là où la photographie, le travail, intervient.

Parfois Arbus part de la position diamétralement opposée, sans affinité, sans aucun désir, comme issue de l’aliénation, comme si la non pertinence du sujet était la condition préalable au travail. «Les Chinois ont une théorie» écrit-elle, «que nous passons de l’ennui à la fascination, et je pense que c’est vrai. Je ne choisirais jamais un sujet pour ce qu’il représente pour moi ou ce que j’en pense. Vous n’avez qu’à choisir un sujet et ce que vous ressentez à son égard, ce que ça veut dire, apparaît peu à peu si vous choisissez pleinement un sujet et que vous vous y tenez suffisamment.» A Washington Square Park elle part de la fascination, ici c’est un aboutissement. Ici cet aboutissement résulte d’un choix apparemment arbitraire et d’une insistance opiniâtre. Mais dans sa dernière formulation le photographe est bien plus encore, et bien plus évidemment encore, signifiant : c’est la révélation du ressenti et de la signification. Le photographe vous rapproche non pas de l’objet mais de l’appréhension qu’a le photographe de l’objet.
Comme toujours avec Arbus, la proximité est la question et l’on peut présumer qu’il n’est pas anodin que nombre de ses photographies apparaissent si familières, bien qu’assez souvent de gens de qui l’on ne voudrait pas être proche, au moins dans prétendue la vraie vie.

«Rien n’est jamais pareil contrairement à ce qu’ils disaient», dit-elle. «C’est ce que je n’ai jamais vu avant que je reconnais». Ce que les autres disent nous met à distance, si c’est «ce que je n’ai jamais vu avant que je reconnais».
Nous devons supposer que c’est parce qu’ils l’empêchent avec leurs mots de voir la chose qui importe pour elle. Ils l’ont préservée, vierge, irréelle, et son projet, le Nouveau – «ce que je n’ai jamais vu avant» – devient l’objet du désir. Il figure, il devient symboliquement l’égal de la chose nécessaire de laquelle elle a été exclue d’une façon ou d’une autre. Son problème, je pense, ou plutôt son dilemme, est de savoir combien elle est prête à en apprendre, de quelle manière veut-elle se rapprocher de cette chose dont elle croit avoir été exclue ?
Arbus part de la position de l’exclue. Les gens du Washington Square Park, en tant que sujet arbitrairement choisi, n’ont rien à voir avec elle. Arbus n’est jamais sûre de savoir si elle est intéressée par l’expérience de l’exclusion – et ses freaks sont par définition l’exclu qu’elle inclue – ou si elle s’applique à élucider exactement ce que pourrait être cette chose dont elle est exclue, ce que ses freaks nous laissent penser. Se laisser obséder par l’exclusion peut devenir un moyen, peut être LE moyen, de ne pas penser à ce que pourrait être cette chose dont elle est exclue. Alors quand Arbus dit (de façon un peu trop célèbre) «une photo est un secret à propos d’un secret. Plus elle vous en dit, moins vous en savez», elle fait la différence entre montrer et dire ce que la photo soumet à notre attention, et nous donne en même temps sa théorie du secret en conserve.
Ce qu’une photo nous dit apparemment est ce que nous n’avons nul besoin de savoir. Dans la photographie l’explicite est toujours trompeur. Et cette photographie, au moins selon Arbus, est une tentative singulière de garder le secret. «Un secret à propos d’un secret» signifie que ce qui est gardé secret est le fait même qu’il existe un secret. Les photos, à l’inverse des photographes, ne peuvent pas parler et «un secret à propos d’un secret», est une définition de l’inconscient que nous pourrions admettre. Mais «un secret à propos d’un secret» recouvre deux degrés de distinction. Arbus ne dit pas connaître le secret, elle dit juste qu’elle sait que ce qui est gardé secret dans la photo est qu’il y a un secret.
La photo, ou plus exactement ce qu’en dit Arbus, a quelque chose à nous montrer, si ce n’est à nous dire, non à propos de gens étranges, mais à propos de notre étrangeté face à la proximité et à l’exclusion. Beaucoup de ses photos comportent un désir baroque. Et de nombreuses déclarations à propos de son travail ont trait à la crainte et au sort d'être mis à l’écart. «Dernièrement j’ai été frappée», dit-elle, «par le fait que j’aime vraiment ce que vous ne pouvez pas voir dans la photo. Une obscurité physique réelle. Et c’est très effrayant pour moi de revoir cette obscurité». Voir l’obscurité c’est voir ce qu’on ne peut pas voir et ce que nous ne pouvons pas voir à travers. Dans les photos d’Arbus le frisson d’être mis à l’écart rivalise avec la crainte. Ce serait terrible de croire qu’il n’existe rien dont nous pourrions être exclus. Ce que les photos d’Arbus nous invitent à considérer sont les freaks qui en sont absents et ce qu’il y a là-dedans de si poignant et de si horrible pour nous. Ou pour le dire avec plus de désinvolture, qui est mis à l’écart de quoi ? Si nous avons tant d’appétence pour les freaks d’Arbus, de quoi nous sentons-nous exclu ?
L’histoire qu’Arbus veut nous raconter explicitement à propos des laissés pour compte, avec des mots plus qu’avec ses photos, est qu’elle les envie. «Les freaks sont une chose que je photographie beaucoup», dit-elle, sans la prudence d’utiliser d’autres mots :

«C’est la première chose que j’ai photographiée et cela a produit une excitation extraordinaire en moi. Je les adorais. J’adore encore certains d’entre eux. Je ne veux pas dire qu’ils sont mes meilleurs amis mais qu’ils me font ressentir un mélange de honte et de crainte. Il y a une qualité légendaire chez les freaks. Comme un personnage dans un conte de fées qui vous arrête et vous somme de répondre à une énigme. La plupart des gens traverse la vie effrayée de vivre un traumatisme. Les freaks sont nés avec leur trauma. Ils ont déjà passé le test. Ce sont des aristocrates.»

C’est astucieux et troublant, tant dans son allégresse que dans sa gravité. Comme dans certaines de ses meilleures photos, on est quelque part entre le gimmick de comédie - «Je les adorais. J’adore encore certains d’entre eux. Je ne veux pas dire qu’ils sont mes meilleurs amis» - et la fable existentielle. A la fois dans l’irréel – choses, légendes, personnages de contes de fées, aristocrates – et dans l’intensément vrai : ils ont vécu leur trauma en premier lieu, «ils ont déjà passé le test. Ce sont des aristocrates». Ils viennent pourrait-on dire, d’un angle très légèrement différent, d’un «coin» pour utiliser un mot d’Arbus, un peu comme les Juifs, nés membres de l’aristocratie du trauma.
Ce qui frappe à propos d’Arbus est son approche explicite de l’érotique, des fantasmes qu’ils engendrent parce qu’elle les admire. Il y a là une formidable sorte d’excitation, d’adoration, de honte, de crainte. Et les vies de ses freaks, selon elle, sont constituées par ce dont ils sont exclus. Parce qu’ils sont nés avec leur trauma, parce qu’ils sont nés avec la chose ultime qui les sépare des autres. C’est de là qu’ils partent, et non de ce qu’ils doivent rechercher comme Arbus à Washington Square Park. C’est comme si leur épreuve dans la vie, l’épreuve avec un grand «e» pour Arbus, était ce qu’ils avaient fait de leur exclusion, ou de la chose qui les exclue.
L’appareil photo de la parabole de Washington Square Park est l’objet qui à la fois inclut et exclut. Mais Arbus, avec raison, tient à nous rappeler que la photo n’est pas faite au sens strict de son sujet, mais de son supposé sujet, représenté, reconnu par un médium très différent. Et s’exprimer clairement sur la photographie c’est parler de cette différence de façon inédite parce que la photographie apparaît comme un art mimétique sans effort. «Ce que j’essaie de décrire» dit-elle, «est qu’il est impossible d’échanger sa peau contre une autre. Et tout mon travail est un peu à ce sujet. Que la tragédie de quelqu’un n’est pas la même que la vôtre». Peut être que la chose dont on est le plus exclu est le trauma des autres, les tragédies des autres.

Vous n’avez pas besoin de regarder des photos de phénomènes de foire ou même de photographier des phénomènes de foire pour vous prouver que vous n’êtes pas un phénomène de foire vous-même. Alors pour poser une question pragmatique, à quoi les photographies d’Arbus servent-elles ? Pourquoi les photographier, et les photographier comme ça ? «Les freaks sont une chose que je photographie beaucoup. C’est la première chose que j’ai photographiée et cela a produit une excitation extraordinaire en moi» ; la première chose, c'est-à-dire après les mannequins de mode qu’elle a photographiés avec son mari dans les années 40. Il est possible que les freaks ont été le moyen pour elle de trouver sa propre voie en matière de photo. Cela mérite donc de se demander en conclusion ce qu’était cette voie propre.
Arbus décrit sa fascination pour un artiste de rue aveugle des années 60 qui, dit-elle, «vivait dans une atmosphère aussi dense et coupée du monde qu’une île entourée de sa propre mer». Et «une île entourée de sa propre mer» est en effet une île très isolée. Si Arbus a été attirée par l'impossibilité de la proximité alors il est tentant de suggérer que ses photos enregistrent à la fois cette impossibilité et tentent de la détruire. Eudora Welty a souligné le fait que le travail d’Arbus «violait tout à fait la vie privée, et ce avec l’intention de le faire» comme si Arbus ne pouvait supporter ou, plus intéressant, n’avait pas confiance dans la vie privée des autres. Comme si la vie privée était une sorte de mystification, comme si notre opacité et celle des autres s’en trouvait sacralisée. Welty a mis l’accent sur quelque chose – la violation est totale, personne ne dit volontiers «je me sens un peu violé» - qui est important à propos du travail d’Arbus. Même s’il est à mon sens permis de penser que ce travail montre souvent le degré d’inviolabilité de la vie privée de l’homme moderne : quelque soit votre degré de proximité, vous n’êtes jamais si proche. Et qu’il y a quelque chose à propos de la vie moderne qui génère des fantasmes de proximité, d’intimité, qui sont bien au-delà des possibilités humaines.
Les secrets peuvent être percés à jour mais la vie privée ne peut être violée parce qu’une fois qu’elle est violée cela n’est plus la vie privée. L’idée même du secret est le dernier refuge du romantisme. Cela n’est peut être pas que nous avons tous des secrets mais que chacun d’entre nous est perçu différemment par les autres. Cela n’est peut être pas que notre intimité se trouve la plus complètement dévoilée, mais que nous avons atteint notre plus haut degré d’anonymat. Ce sont pour le moins les deux domaines vers lesquels Arbus nous guide quand elle parle ou écrit à propos de la photographie. «Notre apparence», écrit-elle, «est comme un signe donné au monde de nous envisager de telle manière mais, il y a une différence entre ce que vous voulez que les gens sachent à propos de vous et ce que vous ne pouvez empêcher que les gens sachent de vous. Les autres nous voient d’une façon que nous ne pouvons anticiper : nous ne pouvons pas nous connaître parce que nous ne pouvons pas être quelqu’un d’autre en relation avec nous-mêmes, et ainsi de suite.» Il est clair que tout ceci montre combien le discours d’Arbus est empreint de psychologie quand elle parle ou écrit à propos de la photographie. Et à l’instar de tout bon essai de psychologie, il est irrésistible et pertinent. Et il n’est pas surprenant qu’Arbus, en mûrissant et en travaillant là et quand elle l’a fait, ait trouvé ce langage à portée de main. Mais ce genre de discours peut nous entraîner loin des photographes en tant que photographes, particulièrement quand quelqu’un est aussi rusé et éloquent que l’était Arbus. Plus mauvais est votre art, notait le poète John Ashbery, plus il est facile d’en parler.
Ce qui me semble vraiment étrange à propos du travail d’Arbus n’est pas son sujet, mais comme il est difficile de résister à l’analyser en psychologue, ou pour le dire autrement, comme il est difficile de concevoir de ne pas en parler en termes de psychologie. Et je ne veux pas dire en termes d’alternative pour parler techniquement. Regardez les photos d’Arbus sans essayer d’imaginer ce qu’il se passe dans la tête de ses sujets, comme si, en fait, vous ne pouviez pas. On ne peut pas avoir accès à quelqu’un qui est aussi dense et isolé qu’une île entourée de sa propre mer, il est donc peut-être disponible pour autre chose. Pour être photographié.

mardi 8 novembre 2011

NORD SUD - Amy sort un disque

« Comment ? Ouais bé c’était prévu… »

C’était prévu qu’elle meurt ?

« Et ben j’m’en fous, pasc’que… elle se droguait trop, c’est pas bien et… c’est pas cool quoi. »

S’élèvent ça et là des voix discordantes :

« Les chanteurs, enfin, les personnes célèbres, ils meurent un peu prématurément et c’est ce qui fait un peu leur talent, donc c’est un peu dommage mais en même temps ça permettra à ses titres de rester un peu dans la légende… »

Voix discordantes bordel, bien la peine de vous avoir payé ces cours de solfège. De syllogismes. Votre i-truc à commande vocale, votre épilation radicale. Votre école privée de stars-TV. Comme l’autre, là, avec sa fondation. Pas top comme retour sur investissement, je trouve moi jeune parent. Non mais. Tout ça pour une fille qu’a pas été foutue d’se faire refaire les dents, ni l’nez vu qu’justement elle s’est tout foutu dans l’pif.

« Elle a bien marqué les gens avec son côté trash. »

Ce mec dans les années 70 qui portaient des lunettes noires la nuit. Non pas celui-là, l’autre. Son autodestruction ils la lui enviaient, en un sens. Ils auraient voulu l’imiter. Ou ils le plaignaient. Avaient peur. La peur loge au cœur de l’abondance, on admirait qui paraissait y échapper : sans inhibitions, et pour cause (héroïcisation de l’anesthésie !). Mais elle c’est une tout autre époque, les amis, une tout autre époque…
Elle on la voyait partout et leur vrai plaisir, c’était de se foutre de sa gueule.
Le people diffère de la star d’autrefois, fait pour être moqué autant qu’envié. Artiste d’un suprême talent ou blaireaux baisant dans une piscine sur un plateau de téléréalité, qu’importe. Même Sarah Palin fera l’affaire. L’identification désormais au lieu d’un avant-goût, certes trompeur, de réussite, fournit au peuple (We Are The People) un moyen supplémentaire de se mépriser soi-même. Comme l’Ancien Régime était cascade de mépris, le nouveau nouveau régime s’est réinventé foire aux humiliations.

« À l’époque » ses business partners, quels qu’ils soient, se sont évidemment assis sur les enregistrements.

Pas assez bon ― ante mortem.

Ce qui n’est que murmuré comptez sur eux pour le lui avoir dit à elle : ni fait ni à faire, pathétique, faible, somnambulesque. En un mot : insortable. Les morts sont les vrais pros. Regardez Madonna. Et puis aussi, la relève est assurée.

In reverse.
Au tour des parents de passer à la télé. Les générations explosent dans l’univers expansé. C’est la vie.

lundi 31 octobre 2011

NORD - In extremis. Pas la gravure mais la plaque.

Une personne dont les avis m’importent m’a fait justement remarquer que les Mutants n’avaient soumis aucun texte à des revues depuis notre participation en 2009 au n°8 de La Passe. Non que nous n’ayons pas eu également des textes refusés, mais ces refus datent de la même période, soit un an avant la parution de mon roman. Emma et moi avons donc décidé de garder pour l’heure sous le coude le produit de ce mois d’octobre pourtant très studieux (premier du genre depuis longtemps pour le jeune père que je suis). Qu'en ferons-nous exactement, je n’en sais rien. Sachez, toutefois, cher comte, que vous avez perdu le plus beau spectacle que le goût ait imaginé et qu’une galanterie noble ait jamais exécuté. On y a représenté la chaste forteresse de la beauté assaillie par le désir.


En plus c'est vrai. Enfin, c'est une façon de le formuler.



L’un de ces textes, écrit par Emma seule, sera publié ici bientôt, tandis que l’autre, créé en commun, poursuit sa mue en vue d’être réduit de 17000 signes au tiers. Une telle entreprise de remodelage produit généralement une foule de versions intermédiaires, plus ou moins achevées, si différentes les unes des autres qu’on pourrait presque avec cela alimenter le blog pendant un an sans vraiment rabâcher. Le problème, bien sûr, c’est que c’est la dernière qui compte !


Le format blog rend volubile. Soit qu’on y poste son avis sur tout et n’importe quoi, ses « coups de cœur », des billets d’humeur ou des articles quasi quotidiens, soit qu’on s'y lance, comme nous, dans des sortes de voyages expérimentaux au long cours, comme je serais tenté de qualifier nos cut-ups retravaillés, délibérément narratifs mais jalonnés de rencontres improbables à la façon, peut-être, d’une Alice moderne. Dans la susmentionnée épopée de 1700 signes, par exemple, se trouvait à l'origine une scène où, dans la salle de billard du manoir métaphorique des sommités du monde contemporain, Slavoj Žižek bourré insultait copieusement Gabrielle Wittkop parce qu’elle était végétarienne. Celle-ci pendant ce temps tenait, en fumant le cigare, des propos à la Houellebecq sur la prostitution asiatique. Un passage très bossé, mais ça reste le genre de conneries que tu racontes plutôt chez toi, à des amis, et c’est pourquoi j’ai coutume de dire que le blog est ma maison.



J’aime être lu. Pourtant, en ce qui concerne NORD-SUD, je n’ai jamais fait trop d’efforts pour améliorer les statistiques de fréquentation. J’y teste des idées. Emma aussi. Sans NORD-SUD je n’aurais pas écrit mon livre, en tout cas pas le même. Mon post du jour anniversaire de la chute du Mur de Berlin, par exemple, s’y retrouve presque dans son intégralité. Il nous faut maintenant réfléchir aux types de contenus qui nous permettront d’être fidèles à la vocation originelle du blog : être le lieu d’un dialogue entre nous, ouvert pourtant sur l’extérieur (putain là je deviens super pompeux, j’arrête !). Peut-être plus de « matériaux bruts », de citations croisées ou pas (ci-dessus, Schiller).



En bref, le blog est notre QG, il est aussi pour nous un réservoir d’idées à développer, dans les mauvais jours un crash-test, parfois un désert, mais il doit se lire avant tout comme une correspondance. Emma s’étant évadée trois jours, cap toujours plus au SUD, à Barcelone, j’attendrai donc sa carte postale.


FM

jeudi 29 septembre 2011

NORD SUD - Modeste proposition pour la PROCHAINE rentrée littéraire




Merci à **** et au frigo.
"Se prendre la tête."

Le propos n'est pas de prendre position sur une question. Mais d'admettre que celle-ci, quand on croit la considérer du dehors, est en fait part intégrante de l'équation dont procède notre propre existence.

Ainsi parlait John Dykstra.

(John Dykstra a inventé notre actuel mode de gouvernement...)

jeudi 14 juillet 2011

NORD - French Touch: l'ordre serré

"La langue françoise, comparée aux langues anciennes et modernes perfectionnées, paroît LA MOINS FAVORABLE DE TOUTES À L'ART D'ÉCRIRE. (…) En françois, on ne peut dire que d'une seule manière, Dieu aime les hommes ; et dans les langues à inversions, qui ont la facilité de placer les mots dans l'ordre le plus convenable, pour former à l'oreille un son doux et harmonieux, cette même phrase peut s'énoncer de six façons différentes…"


(Introduction à la traduction du Roland furieux de l'Arioste, par messieurs Panckoucke et Framery, 1787.)


samedi 18 juin 2011

SUD - Cool Chase : I don't want knowledge I want certainty.

La structure métallique qui soutient le réseau d’étages open space et de coursives repose sur huit pattes qui, toutes, partent de la plateforme abdominale. Elle constitue le centre névralgique de l’édifice. Tout le système de surveillance, le réseau de caméras, les bornes biométriques clignotent un point zéro derrière les parois de verre de ce gigantesque abdomen.
C’est aussi là que sont traitées les données personnelles des clients - un simple accessoire vous définit, fermez les yeux faites un vœu et comptez jusqu’à trois appuyez sur étoile et choix trois. La production de masse B to C, le benchmarking de vos envies secrètes s’affiche pixel après pixel sur les écrans. Ne cherchez plus à être : jouez ! Le récit que vous faites de vous-même devient réalité.
Les magasins Cool Chase sont des prédateurs invertébrés arthropodes. Hiératique, ils repèrent, calculent, immobilisent – ils ont des yeux simples et multiples - l’une après l’autre les victimes consentantes qui fourmillent le long des allées, butinent à l’espace congélation, vrombissent sur les escalators fils de soie qui relient en cercles concentriques tous les étages de la toile. En tant que prédateurs, les magasins Cool Chase jouent un rôle majeur dans la régulation des populations conso-matrices.





Faites de votre cuisine une galerie d’art.
Cimaises, installations, performances ont conquis presque tout le domaine terrestre émergé. Elles sont donc ubiquistes. Elles remplacent étals, rayonnages, portants.
Trompez les apparences et les autres.
Monolithe de beurre, installation interactive de fruits exotiques, sculpture éphémère de crème glacée - le mythe de l’abondance. Vous ne faites plus vos courses, vous êtes collectionneurs d’art contemporain.

A l’étage LA MAISON, une jeune femme svelte en pantalon de lin blanc et besace griffée à la pliure du coude est en état d’hypnose devant une cimaise de l’espace COOCOONING. Un tableau holographique à polychromie variable indique par simple pression de la main la couleur de votre humeur. Basée sur la science ayurvédique multiséculaire, cette installation vous permet de désamorcer les conflits familiaux ou avec vos colocataires. Evitez les disputes inutiles et relookez votre salon. Art Yurvédique : adpotez notre solution.
Elle avise enfin une borne FAQ.
Laissez votre miroir réfléchir pour vous.
- Parlez après le bip sonore.
- Commande internet, débite-t-elle d’une voix monocorde.
- Pour les packs dinner tapez 1, pour le bouquet évasion tapez 2, pour le...
- Vous avez tapé 1. Nos hôtesses vous attendent porte 6 escalator 14 lounge D. Cool Chase vous remercie de votre confiance.


Comme tous les arachnides, Cool Chase n'absorbe que du liquide – credit card, cash, whatever : elle doit donc lyser ses proies.
Devenez pilote de chasse avec les lunettes Ray Light.
- Tu devrais craquer ! Moi quand j'lui ai offert, il s’est carrément liquéfié !
Cool Chase réactive vos synesthésies.

Espace ICEBERG. La porte battante crache en rafale des shoppeuses vêtues de doudounes ciglées CC – Cool Chaser.
- T’as vu c’est trop cool si t’achète un truc ils te laissent la doudoune !
- T’as choisi quoi toi déjà ?
- Des glaçons en forme de gode. C’est pour la Saint-Valentin.

Ne faites plus parler de vous. Faites crier ! Cool Chaser fait de vous une star. Cool Chaser pense à votre place.





- Bonjour, je suis Sakina c’est moi qui vais traiter votre commande - toutes les espèces connues sont prédatrices, sans exception. Permettez-moi de vous féliciter de votre choix. Vous avez opté pour le menu London Hype douze convives c’est bien ça ? Elles se nourrissent exclusivement de proies vivantes qu'elles chassent à l'aide de pièges - nous vous suggérons d’assortir le velouté betterave/violette avec la nappe réglisse givré D&C et le gloss Morsure Pourpre de chez ABC Lab - ou à l'affût.
Cool Chase vous met en scène.
- Désirez-vous autre chose ? Très bien. Pour taper votre code, placez-vous bien en face du miroir. Bravo ! Vous êtes désormais une aristo trash !
Dans le miroir aux alouettes elle apparaît coiffée d’un chignon banane le visage encadré de pendentifs en diamants. Ce miracle par la simple préhension du flacon design minimal labo pharmaceutique qui contient le consommé pourpre.
- Enjoy ! Susurre la voix d’hôtesse de l’air de Sakina.

Jouis. A l’impératif.

jeudi 12 mai 2011

SUD - Petit déjeuner.

A l'heure verte où tout se brouille de possibles,
de minuscules jubilations s'étirent du pot de café aux lignes solaires de Bolaño,
des sucs sexuels et odorants des fêlures blanches qui étoilent le jardin au nez qui se fronce pour suivre la course du lézard sur la pierre blanche – les sauriens amoureux et affamés.


Cette plénitude sans objet par trop d'objets efface la plénitude,
se mue attente,
est distraite par la recherche d'un clou auquel le désir pourrait s'accrocher,
cherche le moyen d'une transsubstantiation.
Cette antichambre de la complétude qu'aiguillonne une envie de matière est
éveil.
Et chaque poil de duvet sur mon bras devient monstrueux.

mercredi 4 mai 2011

NORD SUD OUEST - Rouen 26/02 (2)

Ghaal von Drak !!!

Photo: Samira Chahboub.

mercredi 27 avril 2011

NORD SUD OUEST - Rouen 26/02 (1)

De gauche à droite: fm, emd, Mathias Richard (R3PLYc4N), Zaäk A, Guillaume Bergon, See-Real (de dos).

Photo: Hacer.

mercredi 9 mars 2011

NORD SUD - Le vide 4 - Requiem provisoire pour s>fja (Downlands up the Hill: a ticket to Somewhere)

1. Beverly Hills 90210
INRIA, 2004 route des Lucioles

mode automatique

L’argument
Une jeune femme veut être quelqu’un mais on lui demande d’être quelqu’un d’autre. Si elle n’accomplit pas son destin doit-elle se trahir pour autant ? Ou d’habiles entrepreneurs, aux marges du désert, louent-ils un terrain de jeu ― un élément de décor qui la propulse objet du désir planté là au milieu de la chorée des pétasses en lamé or ― à cette malheureuse propriétaire d’un trop-plein de puissance ?

Ses critiques sont des espèces de somnambules, le chœur de la vindicte populaire. Des femmes des épouses des mères. Ce qu’elles tiennent, elles, c’est la barre.
Demandant à la fille de fournir l’émotion. En faisant un symbole à l’état pur, donc nul et non advenu. Leur dû. Payer le prix de ton existence.

Rien ne leur semble assez bien, rien ne semble pouvoir combler leurs attentes si vastes, si floues. De la course automobile comme métaphore, champ de la stochastique au même titre que ces collisions espérées dont l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique contribue à prévoir la fréquence. Chaînes de Markov, méthodes dites de Monte-Carlo...

Sans doute on peut appeler ça innocence mais moi je ne mettrai aucun nom là-dessus.
- Chéri tu vis à Mickey land.

Le véritable sujet est l’absence de talent. Une déclaration au lieu d’un symptôme. L’objectif vissé au cul d’un âne.
― Tout de même ce plan fixe ! Elle est partie boire un café tu crois ?

Je ne suis pas sûr de l’aimer, elle, avec son goût alangui à la David Hamilton. Deux heures durant je n’en ai pas moins senti qu’il pouvait y avoir contagion
Ivres d’un désir d’adorer, tous parlent de ce à quoi ils aspiraient. Être chavirés mis à nu, exposés, bousculés, détruits et pourtant vivants.
Ces fluctuations quantiques sont une conséquence du principe d’incertitude. Se détestant d’en être rendu là. Hypnotisés par le joli. Autour de l’acteur américain désorienté, consumé par tant de juxtapositions symboliques. Il ne leur en faut pas plus pour, une fois passés les premiers jappements de joyeuse et machinale anticipation, mordre soudain la main qui les flatte.





2. S>fja Antipolis, la vi(lle)e d’en face
Sa faiblesse est de penser que seuls les riches divorcent. Vous voilà en sa compagnie au bar de l’hôtel qui pourrait aussi bien être à Kuala Lumpur, Tokyo, Pretoria, Washington ou Bombay/Mumbay, pareils à deux silhouettes anthropomorphes grossièrement modélisées pour répondre aux sollicitations kynétiques et émotionnelles ad hoc. Elle vous décrit la lenteur d’un homme profondément égotiste qui ferme les yeux sur tout. Certaine que son propre talent, par contraste, constitue la garantie qu’elle les garde ouverts. En ceci, elle est à côté de la plaque — plaque ici point abstraite sur laquelle la star, suite à sa douloureuse épiphanie, fait cuire ses nouilles pour se ressusciter.

Ce que je sais vient d’outre-tombe et je ne voulais pas troquer cette sagesse contre le savoir ordinaire que vous donne l’expérience. Je n’ai jamais poussé trop loin mes aventures.
Je m’appelle Sofia et eux aussi, jusqu’à maintenant, faisaient confiance à l’étymologie.

Elle ne peut tout bonnement pas s’imaginer qu’à Ludon Médoc (sud ouest France) — domaine de vide primaire, vide moyen, vide poussé ou vide secondaire ultravide ou ultra ultravide — les pères ouvriers ne s’occupent pas non plus de leurs gosses.
— Putain, je veux dire, la gamine a le père le plus génial que j’ai jamais vu !
J’aurais voulu lui présenter le mien. Sans doute aurait-elle vu en lui une sorte de personnage vaudou arraché à la jungle qui concocte d’affreux cocktail et ignore comment tenir une conversation.

Le visage dont le moule prend l’empreinte est tragiquement privé de vie. Persona, personne ect. La tragédie grecque c’est pour tout le monde. Et ça elle n’en reviendrait pas
Les bimbos de la télé italienne, au moins, peuvent passer d’un appartement à l’autre, goûter à la saveur légèrement acide d’être là pour repartir au petit matin sans avoir à se faire éconduire. La jeune femme, elle, a droit au petit déjeuner, étant quasi la seule en Amérique à se poser la question d’où planter sa caméra. C’est tout à son crédit. Mais tôt ou tard on lui fera payer le prix fort pour être partie avec une longueur d’avance, même sur circuit balisé.


Ainsi en est-il que, lorsque l’on voit un verre, on voit d’abord la matière, sa forme. Creux, disent-ils, non sans raison.
Le grand brassage postmoderne des références tourne-en-rond-mauvaise-machine en fait un retour de cette tendance artistique pré-moderne par excellence, le symbolisme. Un taôiste y verrait d’abord le vide qui le rend utile, qui permet d’être rempli. Il se questionnerait à l’ouverture : combien de temps pour réaliser qu’il s’agit d’une seule et unique voiture ? Assez de temps pour justifier de s’appesantir.


3.Le grand prix de Bahreïn aura-t-il lieu cette année ?
Le vide parfait n’existe pas. Il s’agit en fait d’une très faible pression. L’épisode, déjà cité, du masque mortuaire plaqué sur le vivant, montre qu’il reste néanmoins le siège de matérialisations spontanées et fugaces de particules et de leurs antiparticules associées qui collent aux doigts. La déchéance physique lui est présentée tel un spectacle de plus, bénin, cosmétique, réversible : les traces en seront gommées et tel sera pour finir le mode opératoire de sa propre disparition : l’effacement. La notion de vide est intimement liée à la notion d’être.

Et le silence intérieur qui en découle ne cesse plus de s’amplifier. Ce silence n’est pas le rien (l’absence de tout). Ce vide du moins fait sens, le sujet apparent étant lui plus discutable. La question est essentielle du prosaïque à la base du symbole

(On frémit à l’idée des dommages que causerait à la technopole une grève prolongée du personnel d’entretien.)


A l’intrinsèque tu n’es rien. Interchangeable. Effeuillable. C’est ce qu’elle dit. Tu es un numéro de strip tease, un string à paillettes. Le reste, tu l’as oublié.
Your name is Bambi too.
Tu es ce que tu représentes, ce à quoi tu donnes accès. Des insomniaques font la queue chaque matin pour voir un film à dix cents la séance. Pendant l’émission de télé italienne tu n’as pas même l’occasion d’appliquer le plan prévu par les producteurs européens du film. Faute d’avoir la chance de cheminer sur le sentier de la vraie vie qu’illumine, à chaque pas, la vraie chaleur humaine des vrais gens, tu n’imagines même pas avoir quelque chose à y redire. Il s’agit de gagner au concours de name dropping — tu parleras de ta rencontre avec Scorcese, de ta collaboration avec machin, et de bidule... Mais on a juste oublié de prévoir l’interview.
Les danseuses et tout le staff, on dirait qu’ils ont des ampoules électriques dans le corps.
Tu as l’air aussi naturel que la famille moyenne réunie à la cène familiale autour de la dinde, du sapin de Noël.

(Dindon de la farce je veux bien, cependant je suis un porc et je refuse catégoriquement de compatir aux problèmes d’un gars qui peut se payer les jumelles Playboy. Pourtant une substitution à la Lost Highway semble s’être opérée sous les sunlights, rendant cette remarque, au départ peu brillante, caduque

Il a une nouvelle identité (il est ELLE) et cette identité est devenue sa seule raison de vivre. Macabre, il aurait peint des espaces où pendouillent des fils électriques. Mais macabre, il ne l’est pas. Ses millions de dollars ne lui en donnent pas les moyens. La vitesse là-bas étant très rigoureusement limitée. Parce que même les plus riches Américains, leur système de valeur référence c’est le bonheur simple de la famille de la middle class. Voir la belle montagne de sa vie se transformer en désert. Toutes particules virtuelles annihilées presque immédiatement après leur création. Tout mis à plat service compris circonscrit au premier plan où papa trucide la même dinde déjà cuite depuis 35 ans sous les mini sourires Colgate qui illuminent l’arrière plan.
— Je veux dire, pitié ! Dis pitié chéri. Tu peux même fredonner un cantique !

La physique quantique définit le vide comme l’état d’énergie minimale de la théorie. C’est comme les arbres qui perdent leurs feuilles en hiver et qui, au printemps, se recouvrent de feuilles nouvelles, la seule façon de grandir. Elle voudra encore et encore être la fille, cette blonde version idéale, et pour finir elle deviendra le père. Moi, voudrait-il dire, c’est différent. Y compris dans la fiction, je n’ai pas toujours été riche


4.Ce que dit la souris dans sa roue après qu’on lui a convenablement boosté le cervelet
Quelque chose à leur dire. Un message. Life Is A Joke, ainsi que le proclame Zoe Krawitz, Paris 11. La fille d’un bon ami à moi. Ma fille mon bon ami et moi. Un vide considéré comme excellent contient encore deux virgule quatre millions de molécules par centimètre cube.
D’où ces plans fixes, où j’ai l’air de me transformer en couette bouchonnée sur le sofa. Les autres quant à eux lèvent la patte dans tous les coins de la piaule sur des paires de jambes longilignes qui poussent là dans des escarpins vertigineux. Ou vacuité faite miroir.

La petite princesse blonde (© Second Life) danse sur la glace sans difficulté du fait de ses œuvres volumineuses qui demandent chaque fois plus d’espace pour s’épanouir. Une alliance improbable. Un rythme de TV-réalité. Une orgie de sens. C’est le deal. La marque de l’auteur(e). Passivité, sentiment d’une illégitimité foncière, on a là un peu plus que du vide. Préparation à la certes assez grotesque scène finale, contrepoint de la première sur le thème opposé de la ligne droite.

Re-spin. Le personnage se tait.

Il a renoncé au mouvement. S’en est, dès le départ, largement dispensé. Qui dit absence de matière ne dit pas absence d’événement. Elle qui le filme, modifie ce qu’elle observe et donne à observer, devenant à son tour principal objet d’observation. Une voiture de sport est aux U.S.A., encore plus qu’ailleurs, inutile. Teste ton bolide sur le circuit du constructeur. Pousse-le. Au-delà, rien. L’immobilité est plus que la lenteur, pure vitesse abolie. Le monde extérieur te paraitra toujours trop loin. Eux, répétons-le, demandaient que l’on ait quelque chose à dire. Je ne suis plus si sûr d’avoir envie de hurler avec les loups. La physique moderne nous indique d’ailleurs qu’il est tout à fait pertinent de discuter de l’énergie du vide.
Nous n’étions juste pas censés la côtoyer.


Sur la route puis sur le freeway, ils t'attendaient au tournant ma fille.

samedi 19 février 2011

SUD - Le Vide 3 - Vacuum cleaner, nettoyage par le vide.

C’est alors que tu ne viens pas. Parce que tu as désormais un nom vers lequel est tourné le tournesol de mon attente. Ce tu n’appartient plus au monde, ce tu n’est plus universel. Palpitant comme une chair meurtrie capable d’absorber tout geste d’amour.
De quoi l’à vide était le nom.

Je t’attends toi, dévorée d’insomnie.


Je ne désire plus que ta main. Ta paume tendue vers ma paume. Et je n’ai plus le secours de la fiction où tu te métamorphosais polymorphe. Où tu disais toujours oui. Dans la vie d’avant je pouvais t’embrasser en pleine rue. Tu ne te doutais de rien, assise dans ton bureau à des centaines de kilomètres de là. Aujourd’hui, je ne peux plus jamais aller seule nulle part. Ni aller nulle part. Ailleurs. Je marche vers toi, toujours et tout le temps. Et tous les sexes prennent l’empreinte du tien. Et toutes les bouches parlent par ta bouche.


Suspendue à ton bon vouloir - autant dire à ton imperceptible façon de jouer avec les signes, un fil ténu - j’avance marionnette, mes jambes allant l’amble dans le miroir aux alouettes. Tu m’as donné de voir le secret des mots mais aussi baptisée Cassandre. Tu m’as donné d’aimer mais ceux qui me tournent le dos. Tu m’as donné le rire mais je ne l’ai jamais entendu terrasser ce sourire limaille de fer que je porte comme une vilaine tâche de mépris en plein visage. Tu m’as donné cette inextinguible volonté mais pas de but.


Je n’ai jamais poussé trop loin mes incursions là où tu vis. Le monde extérieur me semble toujours trop loin. Pendant des années j’ai vécu en pensant qu’il pouvait y avoir contagion. Sans doute on peut appeler ça innocence mais moi je ne mettrai aucun nom là-dessus.





De là où je me tiens, je vois le serpent lumineux de l’autoroute sinuer vers le toit des maisons et les bureaux encore éclairés au dernier étage des gratte-ciel. C’est la nuit depuis longtemps déjà. Je ne veux plus me souvenir quand elle a commencé.


Je me remémore tout ce que j’ai tenté. T’atteindre. Croire que c’était possible. Faire comme les autres mais en un peu différent. Ceux qui savent t’approcher. Ceux qui te côtoient si aisément qu’ils ignorent jusqu’à l’idée de l’envie de pencher la tête pour obtenir de toi un baiser. Ces sultans aux rondeurs centripètes vautrés sur tes coussins dont la volupté leur est, par l’habitude et le fait acquis, devenue étrangère, je ne veux plus les contempler depuis le pays des affamés.


Le ventre creux qui pourrait avaler n’importe qui n’importe quoi, je suis pourtant habitée de légions. Remplie jusqu’à ras-bord.


Alors je saute. Pas comme un ange. Non. En trombe. Comme une caillasse balourdée du haut du puits. Aspirée par le vide. Mais l’aspiration est encore un souhait. Et je veux tout nettoyer.





Photo Copyright E MD.

SUD - Le Vide 2 - Empty voices, empty rooms.

Je passe mes doigts sur tes tatouages et ça peut sembler idiot mais je les sens après. Comme je les sens après les avoir enroulés tendus remontés descendus autour de ton sexe. Et bêtement je souris à l’absence de tâches vertes.

J’aurais voulu avoir le temps de connaître tous les desseins de tes dessins. Pourquoi celui-là, pourquoi celui-ci, pourquoi ce jour-là et pour qui ? On écrit toujours à quelqu’un. Est-ce que ça fait mal ? En mémoire de quoi ? De qui ?

Je mets mon nez dans le sous-bois des aisselles et dans celui de l’aine qui sent le ventre de matou, le duvet humide au déhanchement des pattes, le bébé animal. Je me demande si les petits chats ont aussi des dents de lait. Sûrement. C’est à ce moment-là que la souris passe.
Tu n’as pas su trouver les neuf pièces d’or que j’avais glissées sous ton oreiller.

Mes doigts vernis de toi, je les frotte deux par deux puis chasse d’un revers de main les minuscules paillettes que ça fait tomber sur le drap.
Je te parle, tu ne dis rien.
Je me demande si tu ne préfèrerais pas que je me taise pour pouvoir t’endormir. Mais je ne pose pas la question.

Est-ce que tu m’écoutes ?

J’aimerais la caresse de ta main dans mes cheveux mais je n’ose rien exiger.
Je fais semblant d’être au repos et je m’en veux de n’avoir pas la force de me lever et de te rouer de coups. Ou de te laisser là, sur une cinglante réplique qui ne me vient pas, les yeux au plafond, j’imagine. Eviter demain qui sera mat et blanc, saturé de cris absents qui me laisseront - je le sais déjà - assise et stupide avec le goût jaune et vert de la bile.

Mon champ de vision survole trois grains de beauté flous (je suis trop près) sur la pente descendante qui rejoint le drap avant de buter sur le mur d’en face. J’essaie de rendre aussi palpable que possible la mollesse de mon corps qui pourtant prend feu. De l’accorder à la circonstance. Mais je suis toute tendue de questions et mon cœur cogne grosse caisse sous la chemise.
Pas de stase.


Je nous voudrais unis par un fil électrique, le courant alternatif clac clac encore. Je me tais. Intranquille. Toi, inconscient de l’abnégation dont je fais preuve pour me dissimuler bien consciencieusement que j’ai moi-même créé ce que j’adule encore. C’est une maladie à ce point-là. Je le sais parfaitement. Et comme dans le cliché, je me refuse à guérir. Je n’ai peur de rien tu vois.






J’ai terriblement envie d’allumer une cigarette. Mais je ne bouge pas.

Tu ne dis rien du tout.
Je te voudrais endormi. Mort peut être. Et j’ai ce pressentiment qu’il ne faut surtout pas dire que je t’aime à cause du sourire cynique qui ferait une mauvaise couronne à mes cheveux. (J’ai des yeux derrière la tête et je sais tout de toi).

Je reste immobile. Le corps le plus léger possible. Une jambe entre tes jambes, ma tête sur ton sein plat. L’immobilité de tes bras alignée à ton corps gigantesque, je ne l’aurais pas remarquée sans le contraste qu’elle fait avec le clignement sporadique (nerveux ?) de tes paupières.
Tu ne dors pas. Tu ne me tiens pas (dans tes bras). Tu es là plombant comme une absence qui ne fait même pas semblant d’être loin. Ça dure comme un vieux siècle qui rechigne à laisser la place. Et je finis par sombrer sur le coup de chance d’une seconde au relent d’hallali.
Et je m’endors, absolument en train de te haïr, mon amour.



Photo Copyright Nan Goldin.

SUD - Le Vide 1 - Empêchement : Sylvia sweet part of sublime.

A l’heure du petit-déjeuner inhabituellement volubile, elle lui parle de ces femmes artistes écartelées entre la chose qui intime d’être construite et la course aux moyens de survie qui a la boulimie du temps. Et les enfants et la maison.

Une femme veut être quelqu’un mais on lui demande d’être quelqu’un d’autre. Si elle n’accomplit pas son destin, doit-elle se trahir pour autant ?
Inquiètes de mal faire, elles en retirent une double culpabilité. Un truc qui ronge. Y être à moitié, n’y être pas vraiment. Un sentiment de duplicité. Elles se doublent elles-même, clouées sur le bois dur de l’impossibilité à tuer l’ange du foyer.

Tout n’est plus qu’attente. Un temps fou perdu à se persuader que tout ça n’est pas que velléités. Que tout ça n’est pas cette naïve histoire de petite fille qu’elles se sont si souvent racontée, assises au centre d’après-midi aux minutes dilatées que déroulait l’océan.



Sylvia Plath et Diane Arbus ont toutes les deux fini par allumer le gaz.
Il dit pose ce putain de briquet, je me charge de faire les courses.
Elle sourit à ses chaussures.
Dehors les feuillages frémissent comme un baiser de salaud.

Mais une fois assise à son bureau elle feuillette ses notes et les trouve toutes ineptes. Nulles.
On a toujours mieux à faire que d’être assise face à soi suspendue dans le vide. Je suis le sentiment dans la chair. Pas l’intelligence dans la chair. Je suis simple et il ne faut pas me penser. Je suis si polie. Et tout soudain me semble si vain.
Alors elle se demande où est-ce que j’ai bien pu laisser l’aspirateur.



Photo Copyright Diane Arbus.

lundi 31 janvier 2011

NORD SUD - En février: perf live Mutants Anachroniques v/s Ghaal von Drak


Performance à Rouen le samedi 26 février prochain de la pièce sonore: Adolescents, les secrets de leur cerveau et de leur comportement.

Musique: Ghaal von Drak. Participants de la soirée:


Les bénéfices éventuels iront, en ce qui nous concerne, à l'
Association Marquis de Sade pour le droit imprescriptible des couples modernes à séquestrer un ado dans leur cave. Une cause d'avenir. Création imminente d'un groupe Facebook:)