lundi 21 décembre 2009

NORD - Sur, peut-être, la poésie, suite


... une brève salve codée au milieu de l'incessant mégababillage qui reliait entre elles les différentes parties de la galaxie humaine.

(Dan Simmons)

vendredi 18 décembre 2009

NORD - Propos de poète sur la poésie


Moi aussi je la déteste. Pourtant, quand on l'aborde avec un mépris parfait, on y découvre, après tout, une place pour l'authentique.

(Marianne Moore)

lundi 9 novembre 2009

NORD - Juvenalia berlinoise


Trois fois dans ma vie je suis parti visiter Berlin. Cette année, où j’y ai vu plein de vélos, de fêtes en plein air et de nouveaux buildings élevés à la gloire des multinationales ; en juillet 2001 quand le Berlin techno flamboyant, celui du Trésor, jetait ses derniers feux nécessairement stroboscopiques ; et avant cela en ce fameux mois de novembre 1989 qu’on commémore ces temps-ci avec énormément d’insistance. J’en avais alors ramené un texte, publié dix ans plus tard avec les photos de Manuel Attali ‑ aujourd’hui co-directeur de ED Distribution, distributeur français des films de Guy Maddin, Plympton, etc.:
http://www.eddistribution.com/


Ce tout petit livre, plutôt original je crois, a été conçu et réalisé avec le concours des graphistes Blanche Rubini et Olaf Mühlmann. En 99 et 2000 j’en ai vendu pas mal (l’entendre au sens relatif) en marge de colloques, de salons et autres évènements. Ce coup-ci je me serais bien vu faisant la tournée des écoles flanqué de ma bouteille d’Evian et précédé par mon aura de sagesse vénérable, mais avec Manu nous avons opté plus modestement pour une remise en vente de quelques exemplaires jusqu’ici stockés dans un coin chez une poignée de libraires qui sont désormais libre de le vendre au prix de leur choix, comprendre : moins cher.

À PARIS : chez un des libraires soutenant la revue Borborygmes, Matière à Lire (20 rue de Chaligny), et à L’Alinéa (également dans le 12e, au 227 de la rue de Charenton).
http://www.lechoixdeslibraires.com/librairie-14237-librairie-matiere-a-lire-paris-france.htm

http://www.rue-des-livres.com/librairie/522/l_alinea.html

À ORANGE : dans la librairie de l’autre moitié des Mutants Anachroniques, L’Orange Bleue :
http://www.orangebleue-librairie.com/index.php?p=orange
Last but not least :

à BERLIN, dans la remarquable librairie française de Patrick Suel, Zadig (voir aussi son site pour lequel j’ai écrit une petite chose sur le Musée des Ramones, qui m’a d’une certaine manière ramené au temps où j’essayais de gagner ma vie comme guide de voyage.)

http://www.zadigbuchhandlung.de/


Pour en revenir au livre, je pense que celle des photos de Manu qui est partiellement reproduite sur la jaquette aurait mérité de faire une couverture de magazine, genre historique et tout, au lieu de seulement accompagner l’essai poétique du gamin de 20 ans mal dégrossi que j’étais au moment de l’écrire. L’âge bien sûr n’est pas la vraie question — voyez Clément Ribes ! — mais je suis bien placé pour juger du peu de maturité littéraire que je possédais, moi, à l’époque. Ce texte en particulier, pourtant, je ne me sens pas de le renier. Je ne suis certes ni très fier ni tout à fait dupe de cette pose romantico-cynique qui me faisait clamer haut et fort que j’étais venu à Berlin moins pour célébrer un événement a priori réjouissant que pour simplement voir le Mur. D’un autre côté, quand j’écrivais « Nous en construirons d’autres », il me semble aujourd’hui que c’était plutôt bien vu.

J’ai entendu ce matin à la radio qu’on reprochait en Allemagne aux parents, plus spécialement à l’est, de ne pas assez enseigner à leurs enfants combien la RDA était un pays atroce comparé au voisin qui l’a, depuis, si généreusement absorbé. Plus précisément on déplore que les jeunes peinent à identifier ce qui, exactement, distingue une démocratie d’une dictature. Une démocratie, j’imagine, ne fiche ni n’écoute ses citoyens. Une démocratie ne permet pas que soit reconduit dans ses fonctions, fût-ce par les urnes, un dirigeant, ou plusieurs, ayant par des mensonges aussi répétés que délibérés déclenché une guerre. Une démocratie n’organisera jamais un référendum dont on ne tiendra, ensuite, aucun compte. Une démocratie ne saurait tolérer longtemps, en son sein, une sphère d’activité et de décision qui échappe presque totalement à la juridiction commune au nom d’une pseudo « loi naturelle », qu’elle ait été mise au jour par Marx ou par Friedmann. « Nous sommes le peuple », donc nous n’avons pas à payer, au sens propre, pour l’incurie criminelle d’apparatchiks qui menacent de mettre notre pays, et les autres, en faillite. Tout ça va de soi, nicht wahr ?


Pas de doute. Ils sont cons, ces jeunes. À croire qu’ils n’ont pas suivi avec assez d’attention les édifiantes aventures de Jack Bauer. En fait il y a dans mon poème un genre de « lucidité » — mot très à la mode parmi mes amis à l’époque — qui curieusement me dérange. Qui est comme un préalable à la résignation contre laquelle je n’en peux plus de lutter, quand je tourne et retourne dans ma tête cette belle formule née, je crois, dans les rues de Leipzig, ce « Nous sommes le peuple » dont j’ai déjà parlé. Aujourd'hui donc Le Figaro Magazine (!) titre : Il y a 20 ans, LA LIBERTÉ. Oui — il y a 20 ans.


f.m.


lundi 26 octobre 2009

SUD - Wendy n'a pas suivi Peter Pan


Un dimanche de septembre à Manosque, Pascal Quignard faisait une lecture de son dernier livre. Mais la foule si dense a si vite envahi le parquet de la salle minuscule qu’il a fallu trouver à s’occuper ailleurs. C’est comme ça, sur une pointe de déception, que j’ai atterri devant la brune et sémillante Wendy Guerra.


Wendy Guerra a l’air d’avoir à peu près 12 ans et demi. Sa bio indique pourtant qu’elle est née en 1970 à La Havane. Ses cheveux chinois sont coupés au carré et retombent en une frange ultra courte au milieu du front. Une coupe d’écolière. Avec sa marguerite renversée en guise de jupe, elle a l’air de débouler tout droit d’entre les pages d’Alice au pays des merveilles. A son bras, installé dans un panier, un micro chien de la race Yorkshire fixe le public d’un air bien moins assuré que sa maîtresse. Devant elle, s’élèvent en piles des exemplaires de Mère Cuba (Stock), pépite rose bébé au milieu des tables avachies sous le poids de la rentrée littéraire.
C’est une manière de suite à Tout le monde s’en va (Stock, LGF). La narratrice a grandi et changé de nom. Nieve est devenue Nadia Guerra, demi homonyme de l’auteur. Elle a certes gagné un patronyme mais immédiatement l’on songe à la proximité du prénom Nadia avec le substantif "nadie" (personne) et le pronom" nada" (rien). Personne Guerra, Rien Guerra. N’être rien pour être tout le monde ou comment la fiction personnelle doit accéder à celle plus grand nombre. L’autofiction non pour se raconter mais pour écrire la vie. La vie de tous ces jeunes cubains nés de ceux qui ont fait la révolution.

Animatrice de radio à La Havane (comme la mère de Nieve, la gamine de "Tout le monde s’en va"), son émission est supprimée pour trop de prises de liberté. Elle quitte donc son île pour rejoindre Paris puis Moscou à la recherche d’une mère qui l’a oubliée. Si sa mère est partie, elle est restée, elle ne fait pas partie de la génération Peter Pan *. Il semble en effet que certains révolutionnaires aient plus ou moins laissé tout ce petit monde sur le carreau. "m’a coûté de détruire l’utopie. Je pensais sans cesse à ma mère qui était une vraie hippie révolutionnaire. En fait ceux qui ont fait la révolution se sont sentis blessés, ceux qui aujourd’hui sont contre trouvent que j’ai été trop molle et trop empathique. C’est pour cela que je n’appartiens à aucun parti."

Quand Wendy prend le micro, elle parle, volubile, d’une voix éraillée de gamine qui aurait hurlé et couru toute la journée dans la rue avec ses copines. Elle n’attend aucune question et explose de rire toutes les trois phrases. Elle s’explique sur le choix de sa forme narrative de prédilection : le journal intime. C’est sa mère, décédée aujourd’hui, qui lui demandait de tenir un journal pour tuer l’ennui. "Lire, écrire, nager… C’était tout ce qu’il y avait à faire. Le journal est ainsi devenu un ami, un confident, une façon d’écrire l’histoire actuelle sur le registre de la vie quotidienne. C’est aussi un moyen, dans un pays où absolument tout est collectif, de faire la conquête de l’intimité, de la solitude, d’échapper pour quelques heures à la collectivité. Avec "Tout le monde s’en va" et" Mère Cuba", j’ai fini par faire l’œuvre qu’a voulu ma mère." Le journal est aussi un moyen d’éviter les contraintes propre au genre romanesque : bâtir une intrigue de bout en bout, maîtriser les rebondissements. "Quand on vient de la poésie, on a un souci avec la narration, c’est comme une contradiction technique. Alors la forme du journal permet de résoudre tout cela".
Composites, éclatés, ses deux romans ont à peu de choses près la même structure qui fait se succéder des chapitres très courts mêlant épisodes narratifs, chansons, recettes de cuisine … un peu comme le ferait un programme de radio. « La radio a toujours été mon lien avec le monde. En plein cyclone, en pleine crise, le seul lien avec l’extérieur reste la radio. D’aussi loin que je m’en souvienne, la radio a toujours été là la bande son de ma vie ». Ouvrir Mère Cuba c’est comme s’asseoir dans une demeure délabrée de La Havane et appuyer sur le bouton "on air".

e.m.d.

* la génération Peter Pan, c'est comme ça qu'on appelle les enfants de la révolution qui ont fui Cuba dans les années 80. Tout le monde s'en va ...

mercredi 16 septembre 2009

NORD - Florian range ta chambre, épisode 5: Retour vers le futur

L’adolescent (14 ans ? 15 ?) approche la main de son oreille, l’engage vers la nuque et la redirige vers l’autre oreille, comme pour se passer du gel dans les cheveux. Notons cependant que l’exercice ne se limite pas à ce seul mouvement, certes emblématique, d’enrober la tête avec le bras, mais, plus proche en cela du jumpstyle, implique d’entreprendre simultanément l’exécution du même geste — cette tentative demeurant pour l’essentiel symbolique car vouée à l’échec — avec la jambe. L’ensemble de ces figures doit être réalisé dans le laps de temps où le jeune, de par le résultat d’une puissante impulsion de ses juvéniles cuisses et mollets agiles, apparaît comme suspendu en l’air au dessus du trottoir, exhibant aux yeux révulsés d’un septuagénaire figé par la stupéfaction la mosaïque beigasse de ses semelles de tennis :

« OUAH---LÉ---LÔ !? »

But proclamé de la manœuvre : provoquer un arrêt cardiaque chez le passant, choisi pour son âge avancé. Faute d’y parvenir tout à fait, on laisse la statue du grand-père achever de durcir sur le trottoir, la qualité de la prestation néanmoins saluée par les camarades, aux rires plus granuleux encore, qui l’évaluent en connaisseurs. Tu n’auras pas manqué de remarquer la nuance interrogative dont se trouve ici assortie l’interjection : « Ouah-lé-lô ». Sa raison d’être ? Permettre aux potes, le cas échéant, de rétorquer du tac au tac : « Dans la carafe. » Le cas d’ailleurs n’échoit pas toujours. Une réponse aussi claire et définitive n’a-t-elle pas pour résultat de rappeler brutalement dans le giron du langage commun un vocable qui, si on le dépouille ainsi de son caractère essentiellement abstrait, risque de perdre du même coup sa puissance magique ? Il importe donc de garder à l’esprit qu’il ne saurait s’agir, dans ce cas, de répondre à une question comprise et entendue — mais tout au plus d’une hypothèse, ayant presque valeur d’auto dénégation, quant à l’un de ses sens possibles. Nous ne communiquions — je parle pour moi et mes amis car Emma, à en croire sa bio officielle, ne communiquait pas du tout — qu’au moyen d’expressions codées et d’une très grande variété d’onomatopées forgées à partir de l’époque où notre plus grand amusement était ainsi de harceler les retraités, puis enrichies de néologismes un peu plus sophistiqués lorsque notre objectif principal a été de nous montrer aussi blessants que possible les uns envers les autres, ne pouvant rien concevoir de plus distrayant.

Je sais, Florian. Je sais. Ça doit faire un choc, surtout si tu es entouré d’adultes pour qui nos générations ont passé leurs jeunes années à lire Deleuze, ou Derrida, ou Debord (tiens, au fait, pourquoi ont-ils tous des noms commençant par D ? mais j’oublie Barthes et Bourdieu, Camus et Cioran), en fonction du paradi-geding-digme du jour. Plus tard dans notre vie (ou dans la journée ; je ne sais plus) nos occupations, disons plutôt notre absence de toute occupation constructive a bien sûr acquis un supplément de gravité. La musique que nous écoutions était liquide. Nos confidences échangées à mi-voix se perdaient dans cette onde, tout le monde savait tout mais ne comprenait rien, les mots flottaient puis, lentement, sombraient sans se débattre,
(ne rigole pas merde, je n’invente rien — mais non, je vois que ça ne te fait même pas rire) nos confidences —
où j’en étais ?
— mais oui mais oui, je vois qu’il (comme Alain Delon parlant à la troisième personne) était encore sur le point de narrer pour la cent millième fois cette histoire moisie quoique véridique, lorsque le soir où on a suivi Marc sur les toits, Christine, c’était un peu avant, balance une bouteille de bière par la fenêtre depuis l’autre bout de la pièce, sans voir. Assise contre le mur, juste pas envie de bouger et sans doute envie de faire ça. Pas besoin de Gide ou de Lautréamont ou des surréalistes, suffit de s’emmerder. En fait je ne sais plus si c’était elle. C’était son studio, en tout cas : elle était la seule à en avoir un « à elle », au dernier étage d’un immeuble haussmannien rue Daniel Stern. Tu peux ricaner qu’en fait je viens bel et bien de la raconter, mon anecdote inintéressante. Pense un peu à tout le pathos que j’aurais pu y mettre. Les effets de manche et artifices de mise en scène. Qu’en république bananière des Lettres on appelle : « style ». T’y penses, et tu dis merci. En attendant, ma copine Armelle qui est un poil plus âgée que moi (trois ans ?) me racontait qu’une des ses copines était la fille d’un journaliste au Monde ou à Libé, en tout cas plutôt un quotidien de gauche, qui avait écrit sur les ados du début des années 80 un papier où l’aspect « enquête de terrain » se traduisait par des termes tels que « vautrés » et « avachis », l’attitude physique incriminée n’étant pour lui que le signe visible d’une mollesse fondamentale, soit l’absolue nullité d’une génération incapable non seulement de construire mais encore de toute révolte un rien conséquente. Nous étions (c'est-à-dire pour lui : sa fille et les amis de sa fille) AMORPHES. Incultes. Mornes et indifférents. Perdus pour la cause (avant d’être suivis sur cette voie par les quotidiens susmentionnés, et les forces politiques supposées leur être liées). Conformistes peut-être, mais avant tout sans projet. Au singulier comme au pluriel, si bien que même à droite ce conformisme, traditionnellement bien vu, n’avait pas la côte et était assimilé à de l’idiotie pure et simple.

De toute façon, on peut toujours t’entretenir dans l’illusion que tu es le maître du monde ou de l’avenir ou un prodige de nihilisme lucide, il n’en existe pas moins une loi universelle qui veut qu’ado, personne ne t’aime :

« Les pionniers du hardstyle, créateurs de la communauté tecktonik*, regrettent sa popularité grandissante auprès d’adolescents qui lui font perdre son essence. » — Jaxze, DJ (21 ans).

Tu vois !

(…)

[Nous ne t’aimons pas et nous ne te comprenons pas. Mais ça, eh bien ça peut s’arranger. Sinon à quoi serviraient les magazines et le progrès des neurosciences ? Prochain épisode : ADOLESCENTS, LES SECRETS DE LEUR CERVEAU ET DE LEUR COMPORTEMENT.]

[A suivre, donc.]

+

[* Bien sûr la Tecktonik n’est plus d’actualité — mesuré à l’échelle du temps adolescent il s’agit même d’un phénomène carrément antédiluvien. Mais son exemplarité demeure. C'est-à-dire, quant aux réactions que peut susciter, sur une très brève période, un tel phénomène ayant atteint sa masse critique. Souvenir de forums de discussion, de promenades avec des amis : trentenaires+ s’insurgeant devant la « vulgarité » du look et de la musique. Pourtant c’était plutôt sympa de voir pendant quelques mois même en plein Paris des gamins, terriblement sérieux et concentrés, danser dans les parcs et dans la rue. Au cœur de la polémique et de façon justifiée l’aspect marchand. L’affaire de la marque déposée. Tout à fait d’accord. N’empêche, la société ne scrute ses adolescents (appellation d’origine contrôlée : il semblerait ainsi qu’il n’y ait pas d’adolescents dans « les banlieues » mais seulement « les jeunes » : 13 ou 25 ans peu importe, c’est pour mieux t’arrêter mon enfant) qu’à des moments bien particuliers de son évolution. Après tout chaque année il se trouve quelques millions de garçons et filles qui soufflent leurs 14, 15 ou 16 bougies, sans que les médias en fassent leurs choux gras. Puis d’un coup on ne parle plus que de ça, « les ados », comme s’ils venaient d’apparaître parmi nous, téléportés d’une planète lointaine : une invasion d’aliens. C’est que la société, soudain, se fait peur. Au propre comme au figuré. Elle se regarde dans le miroir et n’est pas sûr d’aimer ce qu’elle voit et préfère imaginer que ce qui est en cause n’est pas son reflet mais quelque chose d’extérieur. Au choix : un massacre des innocents, une invasion non pas finalement d’aliens mais de mutants, ou encore un massacre des mutants, voire une invasion d’innocents. La série des textes « Florian » ne veut pas juger le présent, il s’agit plutôt d’un refus d’idéaliser le passé. Pour les Mutants Anachroniques, c’est aussi l’occasion, sur un mode très Stanislavski, d’endosser le rôle de la méchante reine jalouse de Blanche Neige. - FM]

samedi 1 août 2009

NORD SUD - Florian 4bis: "Last Days of les mythologies de Roland Barthes,The King Size Ready-Made Experiment".



EXTÉRIEUR JOUR:
Les branches des sapins pendaient, lourdes dans l’air moite. Au ciel passaient des nuages gris, et tout était si opaque… Puis la brume se levait et se traînait pesante et moite sur les buissons, avec tant de paresse, tant de lourdeur. (---) D’abord il marcha avec lenteur (…), puis il marcha avec une rapidité désespérée ; le paysage l’angoissait, il était si étroit qu’il craignait de se heurter à tout.

Il poursuivait indifférent sa marche, peu lui importait le chemin, qu’il monte ou descende. La fatigue, il ne la ressentait pas, simplement il lui était désagréable, par moments, de ne pouvoir marcher sur la tête…



Au début il ressentait une oppression dans la poitrine chaque fois que les pierres s’éboulaient, que sous lui s’agitait par secousse la forêt grise, dont la brume tantôt engloutissait les formes, tantôt dévoilait à demi les membres puissants. (…) Tout lui apparaissait si petit, si proche, si trempé. Il aurait aimé mettre la terre à sécher (…). Il ne comprenait pas qu’il lui fallût un temps si long pour dévaler une pente, pour atteindre un point éloigné. Il pensait qu’il lui suffisait de quelques pas pour tout parcourir. Par moments seulement, quand l’orage rejetait les nuages dans les vallées, que leurs vapeurs montaient en bouillonnant le long de la forêt, que les voix se répercutaient sur les rochers (…) qu’ensuite le vent expirait, que tout en bas du fond des ravins montaient des sons évoquant une berceuse ou des tintements de cloches… alors sa poitrine se déchirait, il s’arrêtait, suffoquant, le corps plié en avant, les yeux et la bouche grand ouverts, il lui fallait, pensait-il, amener l’orage en lui, faire en lui tout tenir (…).

Il faisait un froid humide ; ruisselant des rochers l’eau sautait sur le chemin. (---) Il n’arrivait plus à s’y retrouver ; un sombre instinct le poussait à chercher son salut. Il butait sur les pierres, il s’écorchait de ses ongles ; sous la douleur il commença à reprendre conscience. Il se précipita dans l’eau du bassin, mais celui-ci n’était pas profond, il y pataugea.



Pierraille grise, (…) rochers et sapin. (---) Là-haut il s’assit. (…) Tout (était) si tranquille, si gris, si vague. Il se sentit terriblement solitaire. Il était seul, tout seul. Il aurait voulu se parler, mais ne le pouvait pas, il osait à peine respirer ; quand il cambrait le pied, il avait l’impression que résonnait un tonnerre au dessous de lui (…). Une peur sans nom le saisit dans ce néant : il était dans le vide ! Il se leva brusquement et dévala la pente.


INTÉRIEUR JOUR:
Vers cette époque, Lukas vint avec sa fiancée (…). Dès cette arrivée, Blake fut contrarié ; il s’était fait sa petite place à lui, le peu de calme qu’il avait lui était des plus précieux…. Et maintenant survenait quelqu’un qui lui rappelait trop de choses, avec lequel il lui fallait parler, discuter, et qui était au courant de sa vie.

Il entra ; ses boucles blondes pendaient sur son visage blême ; il avait des tressaillements dans les yeux et tout autour de la bouche, ses vêtements étaient déchirés. C’en était bien fini du bienfait qu’il avait tiré du calme (…) et du silence de la vallée ; le monde où il avait voulu avoir sa place présentait une monstrueuse déchirure ; il n’éprouvait ni haine, ni amour, ni espérance… seul un vide effroyable, et l’inquiétude torturante à vouloir le combler. Il n’avait RIEN. Ses actes, il ne les accomplissait pas en toute conscience, c’était un instinct au fond de lui qui l’y contraignait. Quand il était seul il ressentait à tel point l’horreur de la solitude qu’il se parlait sans cesse à voix haute, qu’il lançait des appels, et puis il retrouvait sa frayeur, avec l’impression qu’une voix étrangère s’était adressée à lui.

Dans la pièce où pointait le jour, tout dormait, même la jeune fille s’était calmée. Elle était inclinée en arrière, les mains repliées sous la joue gauche ; ce qu’il y avait de fantomatique dans ses traits avait disparu L’homme s’éveilla. Ses yeux tombèrent sur une image qui brillait au mur, ils la fixèrent avec insistance et sans faiblir ; alors il se mit à remuer les lèvres. (…) Il s’avança jusqu’à la fenêtre et l’ouvrit, l’air froid du matin le fouetta.



EXTÉRIEUR NUIT:
Il traversa le village. Les lumières brillaient derrière les fenêtres, en passant il jetait un regard dans les maisons : enfants à table, vieilles femmes, jeunes filles, rien que des villages calmes, silencieux. Il lui sembla que c’était d’eux que la lumière émanait. (---) Des formes passaient rapidement devant lui, il se pressait contre elles ; c’étaient des ombres, la vie lui échappait, et ses membres étaient tout engourdis. Il s’agrippait à tout ce qui autrefois faisait couler plus vite le sang dans ses veines, il essaya tout mais… n’était que le froid, le froid !

Tout affluait de nouveau. Ce qu’il entrevoyait de son ancienne condition le faisait tressaillir et jetait des traits de lumière dans le chaos désolé de son esprit.


INTÉRIEUR NUIT:
Entre temps, des gens étaient entrés (…), ils se prosternaient sans un mot. La jeune fille était étendue, agitée de tressaillements, et la vieille chantait d’une voix gutturale.





Tout ce qui l’assaillait, la musique, la douleur l’ébranlait. Pour lui l’univers n’était que blessures ; il en ressentait une douleur profonde, indicible. Et maintenant, une autre présence : une bouche divine, palpitante, se penchait sur lui et se collait à ses lèvres ; il monta à sa chambre solitaire. Il était seul, seul ! Alors la source jaillit, des fleuves coulèrent de ses yeux, il se recroquevilla sur lui-même, ses membres furent agités de tremblements, il eut l’impression de se dissoudre, d’éprouver une volupté à laquelle il ne trouvait de cesse ; finalement il redevint lucide, il se prit d’une sourde et profonde commisération pour lui-même, il pleura sur son sort, sa tête retomba sur sa poitrine, il s’endormit.



Au ciel, c’était la pleine lune ; les boucles glissaient sur ses tempes et son visage, les larmes étaient suspendues à ses cils et venaient sécher sur ses joues… ainsi gisait-il maintenant là, seul, et tout était calme et morne et froid.


INTÉRIEUR JOUR:
Les demi tentatives de suicide qu’il ne cessait d’entreprendre n’étaient pas très sérieuses. C’était moins le désir de mourir (dans la mort il n’y avait pour lui pas plus de calme que d’espérance) que, dans les instants de la peur la plus redoutable ou dans ceux du calme sourd aux frontières du néant, la tentative de reprendre conscience grâce à la souffrance physique. (…) Il était assis froidement résigné dans la voiture lorsqu’ils quittèrent la vallée en direction de l’ouest. Où on le conduisait lui était égal.

En réalité ce n’était pas vraiment de lui qu’il s’agissait, il était poussé par un puissant instinct de conservation : c’était comme s’il était double et qu’une partie de lui-même cherchait à sauver l’autre, et qu’elles s’appelaient l’une l’autre ; en prise à la peur la plus vive, il racontait des histoires, récitait des poèmes, jusqu’au moment où il revenait à lui.

Au moment de conclure, il avait pris de l’assurance, et les voix se remirent à chanter :
Fais qu’en moi les saintes peines
Jaillissent comme des fontaines.
Que soit la souffrance tout mon gain,
Que soit la souffrance mon service divin.





© Georg Büchner traduit par Lionel Richard, Gus Van Sant, montage : Mutants Anachroniques Summer Camp !

jeudi 2 juillet 2009

SUD - Assise (FLORIAN RANGE TA CHAMBRE! part 3)

Épisodes précédents: 1 (vidéo-citation), 2&3.

3.

C’est dimanche, la petite est scotchée devant la télé depuis ce matin. Ils sont brièvement sortis de la chambre pour nous faire manger à midi. J’ai plus de piles dans mon walkman rose energetic groove. Je viens m’asseoir à côté d’elle. Ça halète et ça gémit dans la chambre du fond. Électriques, les pulsions accélèrent comme si quelqu’un prenait une branlée. Des coups nets et secs, répétés, sur le ventre et sur les cuisses. Je monte le son de la télé. Ça claque sec et puis un cri qu’on étouffe. La porte s’ouvre, le corps disparaît dans la salle de bain. La chair sous l’eau j’imagine. Le bruit de la douche. Rapide. Re-claquement de porte. Je vais fumer une cigarette sur le balcon. J’ai treize ans. Bientôt je serai un écrivain célèbre. Ça devrait m’arriver vers mes dix-neuf ans. Un bouquin fracassant et surtout ma vie. J’ai une vie tellement déjantée que les journaux ne savent plus où donner de la tête. Toutes ces fêtes, les yeux camés jusqu’à la rétine. Même Bowie est amoureux de moi. Tout Paris, Londres et même New York se prostituerait pour passer ne serait-ce qu’une nuit à essuyer mon vomi. Je marche la tête haute, j’ai l’air si fière, je me fous de tout. J’ai un corps long et fin, des cheveux long aussi, des petites dents en porcelaines et depuis que je shoote, mes yeux restent verts tous le temps. We can be heroes — just for one day.

Depuis que je l’ai rencontrée en colonie de vacances l’été dernier, on se voit presque tous les samedis après-midi. Elle m’a emmenée pour la première fois dans un café remplis de mecs et de nanas super bien fringués comme elle. Avant ce mois de juillet aux Baléares, je portais de longs pulls rose tricotés par tatie. Depuis, ça a été une vraie révélation pour moi — là bas, je me sentais comme une pauvresse avec mes chemises La Redoute à côté de cette déesse brune un mini short kaki et T-shirt blanc — j’ai fait un effort. J’ai supplié maman de me payer un sweat Chevignon vert et un de ces jeans ultra large et hors de prix qu’ils ont tous. Mais rien à faire, je ressemble toujours à une paysanne en goguette. Je me dis que tout ça n’a finalement pas grand-chose à voir avec les fringues, c’est un truc que j’ai pas. Samedi dernier une de ses copines a dit c’est quoi cette plouc ? J’ai fait semblant de rien entendre. Arrête elle est vraiment adorable ! Adorable ? Putain, j’aimerai bien. Ce café, en fait c’est plutôt un bar, fait boîte de nuit le samedi après-midi. Tous les garçons et les nanas les plus populaires de collèges de Bordeaux y vont. En bas y’a des glaces partout et tout le monde s’agite devant selon une étrange et unique chorégraphie tribale. Ne regarder que soi, ne danser avec personne, sauf si la personne en question vient se mettre derrière toi (ce qui signifie en général qu’elle veut sortir avec toi). Alors là, tu danses mais sans te retourner, en regardant vos deux visages et vos deux corps avancer et reculer devant la glace. Les bras font des espèces de moulinets de bas en haut. J’ai essayé de choper le truc, pas fastoche. En fait j’ai assez peur d’être ridicule. Le plus souvent je reste assise et je regarde. Personne ne vient me parler et je ne parle à personne. Le soir quand je rentre, j’ai la permission de 19 heures, je me sens terriblement vide. Je mets mon walkman rose energetic groove sur les oreilles et je monte dans le bus :
I walk in a room, you know I look so proud
I'm movin' in this here atmosphere, well, anything's allowed
and I go to this here party and I just get bored
until I look out the window, see a sweet young thing))


Pourtant, si quelqu’un voulait me priver de ces samedis après-midi, j’en mourrai je crois.

À SUIVRE.

jeudi 4 juin 2009

NORD - Blog Is Not Dead, FLORIAN RANGE TA CHAMBRE! continued: part. 2 & 3

Pour la première partie, cf. vidéo-citation.

(Beauty n°)
2.

Merci, cher Florian, de te faire de nos idéaux de jeunesse une idée si haute. Si tu veux tout savoir, au risque de paraître faire de la provoc à deux balles, je me crois fondé à affirmer que la seule chose à laquelle j’aspirais quand j’avais ton âge (au risque de paraphraser une alors fameuse interview du chanteur du groupe de hard Wasp, qui sous son hideux maquillage chiffrait dans les 40 ans : autant dire que pour nous il était grabataire), c’était: tirer un coup. Je pensais très sincèrement que la fin des temps peut-être, la fin de ma vie à coup sûr seraient venues avant que j’y parvienne.

Cette idée absurde, selon quoi nous aurions de tous temps entretenu ce « rêve » d’harmonie familiale et de stabilité serait-elle à imputer à ceux des trentenaires ou quadragénaires actuels pour qui « le couple » et « les enfants » constituent, il faut bien te mettre ça en tête, un genre d’ultime tentative pour NE PAS ressembler à leur parents ? Lesquels, s’ils se sont souvent mariés jeunes, ont à peu près tous divorcé ? Sans doute le fait que mes propres parents m’aient si longtemps dissimulés la désintégration déjà consommée de leur union n’est-il, à l'inverse, pas étranger au peu d’empressement que j’ai montré jusqu’à ce jour à me convertir à l’idéal de la famille ressuscitée. Le cadavre pour moi est encore trop frais.

On finit bien par se mettre avec quelqu’un parce que, tout seul, c’est trop dur. Vivre ensemble c’est trop dur, alors on se sépare.
Pour nous comme pour vous, tout est trop dur.
Tu vois !
On est faits pour s’entendre…

Au fait ça ne te dérange pas si je rentre avec vous, je veux dire : toi et ta petite copine, là ? --- (L’expression m’est à l’instant re-surgie toute armée de mes défuntes années en tant que guide touristique : le pater familias caractériel d’un consanguin lobby enkysté au sein du groupe que j’accompagnais s’était convaincu, sans jamais le dire tout à fait explicitement, que j’étais non seulement gauchiste, mais aussi juif et « pédé » : avant d’écrire à ce sujet une lettre incendiaire aux responsables de l’agence de voyage, poussé par sa moitié qu’embarrassaient ses perpétuelles vociférations, il s’était mis en peine de me faire un cadeau, une mini bouteille de champagne ou mousseux achetée dans l’avion qu’il me remis « à condition » qu’abjurant, clause non formulée, mes mœurs sodomites, je m’engage à la boire, clef du code : « avec la petite copine ».) --- Elle est bien jolie, je trouve, poursuit-il, émoustillé autant par cet aparté mémoriel que par le souvenir d’innombrables heures perdues sur Suicide Girls dot com. Surtout ne faites pas attention à moi. Je resterai tranquille dans mon coin. À m’occuper de mes petites affaires. Mieux que toi des tiennes, à ce que je vois, mais c’est bien normal à ton âge — le sexe adolescent dans l’odeur des chaussettes sales — l’odeur des chaussettes sales bourrées dans un sexe adolescent (trop propre l’éros juvénile, qui pourtant occupe partout le devant de la scène, d’étranges courts-circuits pulsionnels précèdent le crash inévitable d’un idéal payé à crédit : demeurer jusqu’à 60 ans cette mince jeune femme sans cellulite, ce garçon gagnant à digestion rapide* !) — des cendres sur le tapis. La morsure barbelée d’un appareil dentaire de jeune fille. L’auréole d’un maillot de foot (+pour chauffer les stades, on met sur les podiums des danseuses de 17 ans*) --- Comme Gide et William Burroughs et Lewis Carroll, j’aime la jeunesse. Même désespérée. Même nihiliste. Du moment qu’elle baise. Au moins ça me change de la mienne.

« Je ne dirais pas ça, moi !
— Toi, Emma, c’est différent. Ces choses ne t’ont jamais posé de problème. On en a déjà parlé. Quand je t’ai tuée.
— Je me rappelle.
— Trop top.
— Arrête, il ne parle pas comme ça le petiot : c’est un intellectuel de 15 ans. Mais tu as raison, il est joli. Ils sont tous les deux jolis. »

Vous êtes sûr que ça ne vous pose pas de problème ? Avec ce clitoris qui ressemble plutôt à une bite — mais qui n’est pas tout à fait une bite quand même —, cette écriture bien évidemment androgyne, mais pas sur un mode binaire. Si EMD est aussi Christiane F. (l’Emma provinciale à 13 ans se rêvait droguée et prostituée), alors moi F. Moulin je suis selon toute probabilité le type à la Mercedes qui la ramasse devant la gare de Bannhof-Zoo. En revanche fm+emd demeure irréductible à la somme de ses parties. Génitales, naturellement :

Tournez-vous si ça vous gêne.

//

3.

FTU — Female To Unknown — « Cette tactique qui nous semble le signe de l’interchangeable. »

Mais non. Il faudrait bien plutôt parler d’une « indifférenciation ». Qui dans le cas du petit bonze FTU en battle-dress, éphèbe égérie de Cynthia (c’est cela qui m’a le plus frappé dans le documentaire de Cynthia sur la transsexualité : la différence de discours, ou plutôt non : de ton, entre les différentes générations de transgenres), se teinte, je le crains, de véritable indifférence, indifférence pour tout ce qui n’est pas sa mission pionnière d’habiter l’entre-deux, inhabité car inhabituel — même à ceux, plus âgés, qui ont conquis le droit de passer la frontière, de muter d’un sexe à l’autre, avec encore, cependant, l’idée d’un passage de l’autre côté : « Je croyais être fait comme mon père, puis on m’a dit : Tu es une petite fille. » --- « Je voulais être un garçon. » --- « Je me sentais une femme. » --- Tandis que notre petit moine mâtiné de Lara Croft, du haut de ses 20 ans et des poussières, porte un tout autre regard sur le théâtre des opérations, refusant de troquer une identité contre une autre qui aurait été, elle aussi, préalablement définie.

Disant « liberté » là ou d’autres avaient dit : « solitude ».

On associe souvent — soit par ignorance, soit, pour les intéressés, mû par la nécessité et le sentiment d’une communauté de combat — transsexualité et homosexualité. Deux notions qui ne sont pourtant pas du même ordre, ici : « Qui j’aime », là : « Qui je suis ».

« J’ai été une fille, et je ne me reconnaissais pas dans ce qu’on attendait de moi en tant que fille. J’ai voulu devenir un garçon, mais ce qu’on attendait d’un garçon je ne m’y retrouvais pas non plus. »

Vois-tu, mon petit Florian, ce qui, pour nous, constituait au mieux un dilemme (dont toute résolution se heurtant à l’inertie sociale pouvait mener cependant au combat, sur le mode héroïque : la lutte contre la psychiatrisation ouverte ou rampante des choix d’identité sexuelle aura-t-elle constitué en la matière l’ultime de l’ère collective et militante ?) est devenu pour vous un jeu. L’identité un champ d’expérimentation sans limites admises. Sans limites et sans règles — or un jeu sans règles n’est plus un jeu, mais une Quête sans plus de fin. La quête sans possible aboutissement définit ce qu’on appelait jusqu’ici : RELIGION. Ce culte d’Ego alors que le Moi (comme le montre l’exemple du sinistre monsieur Moulin) est désormais insauvable, voilà qui fait donc une religion tout à fait crédible — une réalité sociale objective dont la nature, sur le plan subjectif, est d’être sans issue.

Question naïve : si toute norme ou valeur n’est rien d’autre qu’une construction qui possède une utilité sociale, tant que cette utilité persiste, de quel droit prétendrons-nous la déconstruire ? Parce que sans doute nous vivons déjà dans une autre utilité sociale, qui peine à se reconnaître comme telle.

L’homme doit être surmonté. No man’s land.

La norme est un frein à l’innovation. C’est, en substance, le constat que fait notre petit moine. Ses aînés, les pionniers transgenres, étaient « en crise ». Pour eux de façon très personnelle et irréductible la norme établie imposée était une greffe qui ne prenait pas. Dans l’un comme l’autre cas je n’ai pas la prétention d’avoir « bien » compris, encore moins de confisquer leur parole : je dis comment simple récepteur — mais bien sûr cela ne saurait être, quiconque prétend absolument au monopole de sa propre compréhension, tout geste devant être interprété pour être humainement perçu, ne devrait pas seulement se taire mais se cacher — j’entends leurs propos, tels que restitués dans le film**. Et, surtout, ce fossé entre la parole douloureuse et du plus jeune le silence souverain.

Dans une philosophie occidentale rarement fondée sur le cercle (pour cause de nécessaire Progrès), étrangement circulaire apparaît pourtant le classique : « Je pense, donc je suis » — qui suis-je ? Celui qui pense, naturellement. Or si au lieu de cela tu dis : « Je me construis » ou, mieux : « Je m’invente », qui est ce « Je » qui te construit et t’invente, s’il n’existe pas encore ? — Une « mutation anachronique », je suppose.

Narcisse n’est pas Florian, et n’a nul souci de la fin du monde. Narcisse a cette intelligence de la révolte postmoderne qui ne revendique aucun objectif défini, mais la liberté de tendre --- Neverland est son domaine, Vendredi son fardeau. (Notons que ce Neverland n’a rien, ça alors rien du tout, de celui d’un dégât collatéral de 50 ans abîmé exsangue — doublement littéral — sur ses millions. L’erreur fatale croisant Narcisse serait d’oublier combien véritable est sa beauté.) +On sait ce qu’il est advenu de la nymphe Echo :

(…)

The Beautiful Ones, they hurt you everytime.




À SUIVRE.


* [les deux fois : bouts de phrases repris, très librement, d’un entretien avec Benjamin Barber paru dans le n°2 de la revue Ravages, consacré à « l’infantilisation générale » et où figurent par ailleurs d’importants articles de Paul Virilio et Bernard Stiegler.]

** [« L’Ordre des mots » : un titre qui nous renvoie, précisément, à la médiocre perméabilité de notre entendement structuré par (un certain état de) la langue : le genre, le nombre.]

mercredi 20 mai 2009

NORD/NORD SUD - Interlude papier: La Passe n°8.

ATTENDU, premièrement, que : le grand humoriste André Breton y allait un peu vite en besogne lorsqu’il écrivait en 1920 qu’on était peut-être tout près d’abolir le principe de réalité ; deuxièmement, que pour la réalité ce peut certes être vrai, mais que le principe, sous la forme idéelle de l’argent ($$$), en reste tenace ; troisièmement, qu’il m’a conséquemment fallu accepter ces jours-ci d’effectuer force travaux mercenaires en complément de mon boulot alimentaire habituel, qui me rapporte par mois grosso modo un peu moins que la somme que je dois à la personne qui partage mon existence ; quatrièmement, que la solution paresseuse à ce problème, idée de mon psychiatre, consistant à épouser ladite personne sous le régime de l’indivision de biens me paraîtrait un rien déloyale et fort peu romantique ; cinquièmement, qu’à trop tarder à la rembourser je cours le risque que cette même personne m’expédie faire le trottoir, ce qui à mon âge ne serait pas raisonnable ; sixièmement, qu’en raison des travaux mercenaires sus cités, non dépourvus d’intérêt d’ailleurs, ainsi que de tracas de santé liés sans doute à ma vieillerie elle aussi déjà mentionnée, je ne suis pas très libre de mon temps ; sixièmement, qu’il m’est cependant apparu dans un flash déplaisant que le premier segment de la suite de : « Florian, range ta chambre ! » était décidément trop nul pour être posté tel quel ; septièmement, qu’il est impossible pour des raisons de cohérence de poster la contribution d’Emma avant la mienne, idem pour notre contribution commune qui sera musicale ; huitièmement, que le temps qu’il nous reste pour écrire a été employé à d’autres projets de plus longue haleine ; neuvièmement qu’avec tout ça on est pas dans la merde -------------------- IL A ÉTÉ DÉCIDÉ de mettre a profit cette vacance afin d’attirer l’attention de nos visiteurs et amis, puisqu’il a aussi une vie hors ligne, celle-ci, répétons-le, plus ou moins réelle, sur la parution d’un extrait de notre Grand Œuvre dans le n°8 de la revue poétique La Passe.

(Veuillez par ailleurs noter comme se laisse ici le caractère intrinsèquement parasitaire de toute rhétorique, puisque cette information figure déjà noir sur blanc, ou quelque chose dans le genre, dans le titre du post.)

C’était important pour nous d’y être, dans cette revue, à cause de la place de choix qu’elle réserve aux formes d’écriture collectives, aux passages de relais littéraires, etc. J’ai beau avoir été taxé récemment de narcissisme, je crois comme Joë Bousquet qu’il n’y a pas de parole poétique qui ne soit réponse… Une dimension de la littérature souvent occultée, incontournable pour nous qui avons formé le binôme fm+emd :Mutants Anachroniques, et cela même si aujourd’hui nous travaillons de nouveau tous deux parallèlement à des projets autonomes — un extrait (alors encore, je crois, à l’état d’ébauche) du work in progress d’Emma a d’ailleurs été posté sur le blog voici quelques mois.

Je ne vous imagine pas, juste parce que vous aurez lu ces lignes, vous précipiter toutes affaires cessantes faire l’acquisition de la revue afin d’y découvrir ou redécouvrir notre contribution. Mais bon, les Parisiens, n’hésitez pas à y jeter un coup d’œil si jamais vos pas devaient prochainement vous mener dans l’une de ces librairies :

Anima, 3, rue Ravignan dans le 18e – Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard, à nouveau dans le 18 - Compagnie, 8, rue des Écoles, dans le 5e (sauf confusion de ma part ils ont toute une salle au sous-sol dédiée aux revues) – Galerie-Éditions L. Mauguin, 1 rue des Fossés-St-Jacques, 5e – La Lucarne des Écrivains, dans le dix-neuvième.

Les heureux habitants d’Amiens trouveront La Passe à la librairie du Labyrinthe, 37 rue du Hoquet. L’Orange Bleue est toujours à Orange, chers amis sudistes si vous n’y trouvez pas ou plus d’exemplaires, vous y trouverez au moins une des deux auteurs de X (notre contribution, donc), tapie dans la brume électrique. Gaffe, car Emma, sphinx redoutable, est connue pour déchiqueter impitoyablement tout client incapable de déchiffrer ses énigmes et qui s’aviserait, en prime, de marcher sur ses chaussures en daim bleu. C’est une métaphore, bien entendu. Enfin je crois.

fm.

lundi 27 avril 2009

NORD SUD - Florian range ta chambre ! (Part 1)

Florian, 15 ans, n’a pas achevé de faire vibrer ses points de suspension que, n’y tenant, plus — BAM !— je te l’ai descendu d’un crochet au menton, répété en matant Mohammed Ali sur ESPN Classic Sports et qui le laisse crachant sur le trottoir au moins 3 ou 4 de ses putain de dents de lait, non mais quoi, oh !
D’abord qui t’es, le merdeux, pour croire savoir ce qu’on avait dans la tête quand on avait ton âge ?
Et aussi, la prochaine fois que je me traîne dans un rade perrave pour vous voir jouer, toi et ton groupe de merde, ne va surtout pas t’aviser de m’accueillir encore, mais alors là JAMAIS PLUS, en m’appelant la dame de la librairie, OK ? Je sais que ça te paraîtra pathétique, mais vu que comme tu l’as fort justement souligné nous allons tous mourir, je ne vois pas pourquoi, en prime, il me faudrait vieillir.

Combien de temps avant la fin, tu dis ?
Alors merde, à 33 ans, avec un bon antirides ça devrait le faire.


(A SUIVRE...)

samedi 18 avril 2009

jeudi 2 avril 2009

NORD - Pourquoi ANIA ET LE PROGRAMMEUR est le (deuxième) meilleur groupe du monde (après les Mutants Anachroniques)

Si vous voulez vraiment connaître le pourquoi du comment de cette chronique Freestyle, c’est : .


Chère Emma,

Plus je vieillis et plus la musique que j’écoute est violente. L’évolution inverse, m’indique-t-on, serait plus normale — note qu’on m’indique beaucoup de choses les pictogrammes dans le bus dans le métro partout me renseignent en permanence sur le sens de la marche — serait de meilleur augure quant à mon état de développement intellectuel, déjà difficile à apprécier du fait de mon refus, jadis, de me soumettre au test de QI qui nous avait été proposé au lycée — comment, dès lors, comparer ? Bowie était mon dieu. Le tien aussi. Par ailleurs j’écoutais de la Cold Wave et ses succédanés un rien trop vaporeux, car je me sentais triste. Je ne me sens plus vraiment triste. En colère, oui. Tout le temps. Bientôt votre médecin vous dira : « Ne vous inquiétez pas, c’est juste un cancer » — excusez-moi de ne pas trouver ça rassurant, j’ai tout compris de travers je sais bien mais c’est que vous savez, I have anger issues --------------------------- Aujourd’hui -------- je fais le compte de mes priorités, j’essaie de m’autodiagnostiquer et eux avec, raisonner en termes de pertinence, y’a pas photo, juste derrière sortir me procurer une arme mettre une balle dans la tête de Messieurs X et Y puis ne pas oublier Mme Z, moi qui pourtant suis calme discret presque timide disent les voisins, la second best thing to do là maintenant tout de suite pour toi eux aussi je crois c’est de virer ce shuffle de merde auquel nous faisons confiance pour nous « surprendre » et écouter d’un bout à l’autre et en hurlant — casser des trucs, OK mais à soi sinon c’est chez nous qu’on viendra coller des pictogrammes — le premier album d’Ania et le Programmeur.

Bien sûr pour le peu d’allemand et de français que je comprends, nulle part dans Die Kir(s)che Auf Dem Kopf il n’est question de renverser la société défier l’autorité faire tenir son patron dans le coffre d’une Volkswagen — qui d’ailleurs doit être devenue une voiture de luxe — mais, plus probablement, d’amour, forme d’aliénation tout à fait respectable qui arracherait des cris de souffrance à n’importe quel être humain même anormalement constitué parce que soit on y croit, soit c’est une arnaque, et dans les deux cas ça fait aussi mal --------- Comme tous ces groupes garage des années 60 qui hurlaient qu’ils voulaient baiser récupérer leur copine pas récupérer leur copine de toute façon baiser, et c’est de ça qu’est sorti ce Punk Rock sur lequel chers contemporains vous écrivez tant de bouquins érudits : « No Fun ».

Du premier titre, « Ich Bin Müde », se dégage une impression d’absolue évidence, cette vélocité ventre à terre — Hüsker Dü, Landspeed Record : ici plus surprenante car la violence sonore des rythmes électroniques relève généralement plutôt d’une verticalité affolée d’électrocardiogramme terminal, cf. la suite — m’a fait repenser à un article lu vers la fin des années 80 pour la sortie de V.U., « l’album perdu » du Velvet Underground. Comme quoi à l’écoute de ces enregistrements on réalisait que derrière leur boucan, Lou Reed et les autres n’en étaient pas moins avant tout un grand groupe de rock’n’roll ----------------- ce terme, rock’n’roll revêt en Europe un caractère presque péjoratif, l’appliquer à la musique sans concession d’artistes comme Ania et le Programmeur tient presque de l’hérésie ----- Qu’était-ce, à l’origine, le rock’n’roll ? Tu récupère une musique qui existe plus ou moins déjà, un genre de défouloir sexuel peut-être, tu vends aux gens des disques sur lesquels danser --- danser headbanger pogoter slamer diver, RIEN À FOUTRE pourvu que. Mais c’est aussi grosso le seul médium (en fait toute musique sincère jouée par disons des autodidactes ou non régie par des critères d’appréciation bien arrêtés) ayant permis à des gamins virés de l’école à des prolos à des inadaptés non pas un ou deux façon Genet Artaud mais des milliers d’ouvrir leur gueule, et d’une, mais aussi de couvrir par LEUR boucan (on y revient toujours) le radotage migraineux bruit de fond du monde tel qu’il va et qui fait qu’on ne s’entend plus penser. Donc oui, Ania, et vous aussi sachez-le Mr le Programmeur ------ c’est un compliment.

Formuler un compliment, plus qu’une critique, c’est un truc qui m’a toujours été difficile. Je veux dire aux gens combien ce qu’ils font ou disent me touche, ou juste à quel point j’apprécierais (au moins théoriquement) coucher avec eux, et ça ne se passe pas bien. Va comprendre. Hanri le chanteur guitariste du groupe, que j’ai croisé mais alors très brièvement, est ce type d’apparence taciturne à qui j’aurais voulu ressembler sans doute, il y a longtemps, quand je parlais trop. Celui qui s’assoit dans un coin et qui ne dit rien et s’il porte des lunettes noires jamais ne se sentira obligé d’expliquer qu’il a mal aux yeux — je porte des lunettes noires parce que j’ai mal aux yeux. Plusieurs de mes amis se sont foutus en l’air au propre ou au figuré pour, comme qui dirait, être lui, --------------- voilà maintenant qu’il faudrait lui dire ------------------ cet effet hallucinant sur sa voix, en concert ça m’a transporté littéralement parce que si tout le monde le fait, c’est malgré tout différemment et pas sur ce timbre ----- voix androgyne, indifférenciation sexuelle (Thierry Théolier ne s’y est pas trompé quand il a commandé au binôme la BO de « Baiser avec une Boat People », histoire, peut-être, de remettre le titre en perspective) — mais indifférenciation n’est pas neutralité je le sais bien j’écris avec toi : une fille, c’est peut-être le garçon je ne sais plus d’ailleurs le Programmeur c’est qui dans l’histoire ce n’est pas clair, ------ où chercher, peut-être, la clé de cette teinte presque funky, non réductible à des données musicales, qu’acquiert en live la musique d’Ania et le Programmeur, ne jamais oublier que c’est Prince qui a signé : « Computer Blues » -------- et donc je leur dirais ça, est-ce que je veux vraiment m’en prendre une ?

Ce qui nous attire, nous capte, non j’ai tort : ce qui, plutôt, nous retient tout en nous ayant d’emblée frappé chez l’autre — objet d’amour sujet objet artistique — relève toujours d’une quelconque aberration, seule à même de différencier, faute de quoi pas d’évolution possible, ni non plus d’amour. Car l’amour, non la loi du plus fort, constitue le vrai moteur de l’évolution. Pourquoi crois-tu que les lions sont toujours aussi cons au bout de ces millions d’années ? L’amour est ce qui nous porte vers des individus bizarres, pas comme les autres, dont la singularité (tenant parfois à un détail infime) possède seule le pouvoir de tirer l’espèce de son abrutissement. Même chose en art. Même chose pour la musique. Juste après le concert à la Mécanique Ondulatoire de novembre 2008 évoquant, donc, ce traitement de la voix et même des voix auquel j’ai fait allusion je t’écrivais : « Pas moyen de savoir si elles étaient mixées en avant ou l’inverse. Elles avaient l’air de dominer la musique mais, alors que le salle était petite, pleine comme un œuf, elles me parvenaient comme lointaines, semblables, dans mon esprit (si j’ai peu pratiqué les drogues j’avoue avoir contracté la mauvaise habitude de mélanger alcool et anxiolytiques pour vaincre ma timidité), aux échos dispersés d’un discours politique diffusé par haut-parleurs sur une place venteuse devant le Palais du Peuple de Tirana. » Bien sûr, j’imagine que lisant cela le groupe ne s’en sentirait pas nécessairement flatté ------ j’ai déjà parlé de mon problème, pour signifier à une fille qu’elle me plaît vraiment je lui dis qu’elle a une drôle de tête bouboule, ou une robe rigolote, ou une forme d’esprit incompréhensible -------- merde aussi, j’ai appris aujourd’hui seulement la mort du guitariste de Pylon (mon groupe fétiche), alors crois-moi je n’écrirais pas une ligne au sujet d’Ania et le Programmeur si leur album n’était pas purement et simplement mon préféré de tous ceux que j’ai entendus depuis un bout de temps ------ La mécanique peut forer ondulatoire, trop bien huilée elle tournerait à vide. J’aime ce qui est binaire et direct pourtant perverse Machine à différences. On y est en plein.

Qu’Ania et le Programmeur soient de Berlin, où est né dans les années 90 le mouvement Digital Hardcore (ou du moins le label de ce nom) n’est sans doute pas un hasard. Je me souviens d’Atari Teenage Riot en première partie de Nine Inch Nails dans une très grande salle à la toute fin des années 90 (difficile quant on use des outils musicaux choisis par Ania et le Programmeur de ne pas produire ne serait-ce qu’un morceau évoquant NIN : dans leur cas « Alcool », mais plus souvent on pense à d’autres groupes proches : Prick, etc.) --------- putain, les gens partout autour de moi LES HAÏSSAIENT ----- ne se privaient pas de le faire savoir, au traitement appliqué aux premières parties on peut juger du degré d’évolution d’un public, V/S en face, cette fille bottée tous cuissots dehors (je me la rappelle boulotte, ils étaient 2 filles et 2 garçons je crois), ayant pris position à l’avant de la scène — pris position au sens le plus martial, comme on monte au créneau, sur les barricades : triste métaphore post-historique, j’en conviens — et qui hurlait les haranguait jubilante : « Atari Teenage Riot : come oooooooooooooon !!!!!!!! » ---------------------------------------- je n’ai plus une note de leur boucan mais encore sa voix dans ma tête, très exactement un échos de joie pure donc ce n’était pas si triste, cette parodie d’insurrection après tout, aujourd’hui Ania et le Programmeur n’ont pas l’usage d’une telle mise en scène, elle retranchée (et donc : quoique,) derrière ses machines, la même joie la même sauvagerie mais convertie hiératique, liturgie orthodoxe mais barbouillée peintures de guerre.

Le Berlin d’Ania et le Programmeur, c’est entendu, est plus celui d’Alec Empire que celui de David Bowie et Brian Eno, quoique ---- « Ich Habe Eine Kir(s)che Auf Dem Kopf » — toi qui est autant que moi marqué par le Kreuzberg fantasmé de Heroes, ne trouves-tu pas qu’ici, à force de te le retourner à la pelleteuse de le pulvériser au bulldozer le groupe transmue le nouveau Berlin, éternel chantier, en un soulèvement poussière fumée de gravats onze septembriste qui charrie finalement des lambeaux de paysages mélancoliques tels que la guitare de Robert Fripp savait les faire deviner, à travers une bruine d’électricité presque plus électronique que l’électronique d’alors ? -------------- (faute de voies romaines à exhumer : elles ne sont jamais parvenues jusque là) --- Avancer un rapprochement avec Neubauten serait bien sûr encore plus tentant, la filiation « industrielle » — Blixa Bargeld a récusé le terme, le réservant à Throbbing Gristle — mais en dépit d’un nom peut-être prémonitoire — Einstürzende Neubauten, « bâtiments neufs promis à la démolition », c’est ça ? — le Neubauten des débuts avec ses marteaux piqueurs se trouve rejeté plus radicalement encore dans le passé de la capitale In Off de l’Allemagne, ------ ces machines qu’on entendait seulement travailler, aujourd’hui on les entend PENSER. Ania et le Programmeur paraissent d’ailleurs avoir en partie assimilé, consciemment ou pas, le son d’artistes berlinois à l’électro plus intimiste, du type Laub et autres groupes du label Kitty-Yo — en témoigne un titre comme « J’ai découpé dans le journal ». Dans l’ensemble, à l’exception notable d’une tuerie menée sur presque une douzaine de minutes par le duo visiblement déterminé à se doter de son propre « Sister Ray », intitulé « Pourquoi tu pleure ? », la fin de l’album multiplie les moments presque calmes, sinon apaisés — « C’est super pour moi » devrait être offert en téléchargement gratuits à quelques artistes français afin de les convaincre de passer moins de temps à entretenir leur barbe de trois jour, et un peu plus à régler (ou dérégler) non plus leur tondeuse mais leurs instruments, ce morceau tout comme « Women » auraient d’ailleurs aussi bien pu être interprétés avec un simple orgue Hammond ou à l’harmonium, ils resteraient bons. Peut-être est-ce pour ça que le groupe parait si sûr de sa force, n’éprouvant pas le besoin d’ouvertement se placer dans une quelconque lignée, à l’inverse d’ATR qui en 95 samplaient les Pistols et reprenaient « Kids Are United » de Sham 69.

Dans une interview diffusée sur le site de Noize Makes Enemies (pirater ainsi l’acronyme du New Musical Express est une idée assez savoureuse), Hanri revient sur la naissance du groupe : « Ania n’avait jamais fait de musique auparavant mais j’avais besoin de quelqu’un en qui je puisse avoir confiance. Nous avons commencé à répéter seulement quelques jours avant notre premier concert à Paris » --------- des circonstances et une motivation — « Je n’avais jamais été dans un groupe, confirme Ania, pourtant quand Hanri a parlé de faire ça ensemble, c’était un truc vraiment excitant: j’ai commencé à travailler avec des machines, des samples, etc., quelque chose à partager » — qui sont très exactement celles ayant présidé à la genèse de la plupart des groupes issus de ce qu’on a pris l’habitude d’appeler « l’explosion punk », ----- dix bouquins là-dessus sortent chaque jour, une bonne moitié écrites par des ex-thésards pas foutus avec toute leur finesse d’analyse d’éventer le Cheval de Troie sémantique d’une explosion posée d’entrée comme phénomène une fois observé circonscrit dans le temps, prélèvement d’échantillon et inventaire mythologique — la MYTHOLOGIE chronologiquement ordonnée à la différence du mythe antique quoique est le grand ®enfermement , histoire des mouvements de jeunesse et épiphénomènes artistiques exemplaires, statufions vitrification définitive complicité involontaire de mise au pas : STASE ------------ alors que merde, ce qu’est une EXPLOSION, au fond, est-ce que n’est pas plus fondamental un dégagement d’énergie, jusque là tout le monde est d’accord, mais bien aussi une réaction chimique en aval comme en amont — le temps n’est pas cette chose rigide — réaction en chaîne et pourquoi pas également par sauts dans l’infini se traduisant par la libération dans l’atmosphère la nature l’univers connu malléable d’un PRINCIPE ACTIF ? Et putain de bordel de merde, comme disait une de nos amies biélorusses, si pour un Hiroshima (doublé Nagasaki) nous devons nous fader le nucléaire ad vitam aeternam, par quelle pseudo nécessité faudrait-il qu’il en aille différemment s’agissant d’une force autre, potentiellement émancipatrice ?

On a dit du Velvet Underground que très peu de gens les avaient vus ou entendus du temps de leur existence, mais que parmi ceux-là une bonne moitié avait fondé un groupe. La même observation s’applique aux débuts des Sex Pistols. J’écoute encore beaucoup de musique des années 80, sauf que ce n’est plus la même que j’écoutais à l’époque. Je ne comprenais rien à ce qu’essayaient de faire les groupes des labels SST, Twin/Tone, K ou Dischord — le slogan alors à tous familier, « Punk’s Not Dead » me paraissait une survivance pathétique, surtout venant après le No Future des Pistols ------- là encore je ne comprenais pas ----- qu’il s’agissait en fait d’une revendication concrète, d’une affirmation d’indépendance --- DiY --- la défaite, la soumission ne viendraient que plus tard, dans les bacs désormais étiquetés « Rock indépendant » et aménagés en niches, au DiY s’est substituée la HYPE mais la défaite est relative et le principe demeure. J’explique à Eric Arlix cette révélation tardive de l’essence du punk, il me demande sceptique : « Et pour toi ce serait une approche qui serait encore valable ? », je lui réponds par de vagues bredouillis, voir plus haut : alcool+anxiolytique, faut vraiment que j’arrête, mais ce que je voudrais dire en réalité c’est : « Sans doute pas. Mais malgré tout je l’espère très sincèrement car de mon point de vue c’est un peu la même chose que toi tu fais » ------- (Là encore il s’agit d’un compliment promis au malentendu) (Dans mon optique le Punk, le Pop art ou plutôt l’art Pop, l’Agit-prop et tous les –ismes, symbolisme expressionnisme sont moins des « mouvements » circonscrits à une période donnée que des modes opératoires réactualisables au prix, certes, de nécessaires mutations dont notre génie génétique offre l’exemple — jusqu’à Dada car si le monde est un théâtre l’art, comme le reste, peut y mourir plusieurs fois) Certes, je n’irai pas nier que la musique N’EST PLUS, à elle seule, principe de décrochage mental autonomisation de la pensée même mal dégrossie ------------------------- pas de mystère à ce qu’Ania et Hanri ne fassent PAS QUE faire de la musique ou faire cette musique ou faire du rock, peuplant les marges différemment — on y revient toujours. Mode dans son cas à elle. Art. Pour toi et moi littérature, après avoir créé une dynamique d’écriture collective qui longtemps n’eut pas de nom, après avoir créé le site, improvisé des moyens de donner forme à ce qui en nous bougeait (— et jusque là était mort, étudiant en 1991, à mon amie Laure qui se plaint de la vieille garde qui nous tient à l’écart, nous empêche d’exprimer ce que nous avons à dire, agacé agaçant je réponds: « Nous n’avons RIEN à dire ! »

La musique bien sûr reste nécessaire qui fait bouger également les corps, l’anima propulsé de l’avant. Qu’importe que les candidats de la Star Ac’ et de la Nouvelle Star soient très nuls ou presque bons, qu’importe que l’une des émissions soit plus répugnante que l’autre ! ----- Tu prends des jeunes tu leur dis comment danser chanter, faisant des observations sur leur personnalité ou ce qu’elle devrait être, ça veut dire quoi ? — (hors le fait qu’on nous signifie à TOUS que L’ÉCOLE ne s’arrêtera jamais) — ça veut dire d’abord qu’à être minoritaires, à n’avoir personne qui en ait quoi que ce soit à foutre de nos gueules, avec la littérature on tient un truc vraiment cool. (Un outil finalité devenu à son tour électrique électronique super on va pouvoir faire un max de bruit))) - Secondo --------------------------------------- eh bien qu’on a plus que jamais besoin d’architectures sonores à parcourir s’y gorger de cris de joie et de colère, de groupes comme Ania et le Programmeur capables de moduler (ensemble) les soupirs de la sainte et les cris de la fée. Parfois je me dis ------ qu’à la fin nous n’avons fait que reproduire des modèles de rupture --- non pas seulement nous qui d’emblée avions flairé le danger, mais aussi d’autres plus intelligents/moins avertis --- que l’écart entre la théorie et les pratiques n’est pas nécessairement une mauvaise chose --- qu’à force de peser le pour et le contre je me suis brisé les reins --- qu’écrire ensemble un livre sur mon père — le Pillage — a été notre façon de le « remercier » de m’avoir appris ce qu’à treize ans tu avais déjà soupçonné sans aide extérieure : rien, il n’y a rien hors la mort LA MORT EST LE SENS DE LA VIE DE MON PÈRE (d’où mon dégoût du sérieux, notre résignation sarcastique qu’avec effroi j’ai vu bientôt contaminer l’univers, j’ai voulu dire (prêchant dans le proverbial désert, ne disant déjà plus rien en fait) : N’y allez pas, vous ne comprenez pas ce chemin --- qu’il est sans doute trop tard bien trop tard pour gueuler (sens unique sens unique sens unique sens unique sens unique sens unique par pitié rendez-nous le bon vieil Absurde qui au moins n’en avez pas.))) TROP TARD pour TOUT LE MONDE----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Et ce qui me plaît finalement chez Ania et le Programmeur, c’est qu’ils s’en foutent.

fm.

samedi 14 mars 2009

NORD SUD - Poèmes squelettes et autres propos de Salon

--- y a-t-il une littérature officielle ou juste une façon officielle de traiter la littérature un chef d’œuvre fait une mauvaise quatrième de couverture un très mauvais livre aussi on s’en doute mais pas tellement plus :

(poèmes squelettes)

Franz le déménageur

Célèbre bas-fond fait penser
à et aux
mais aussi à
plein de
de
de
étonne par sa modernité
criminel fatalité crime
chant symphonie rumeur
hurlements sanglots et râles
délabrés
minables


Blanche et sèche

Type même
Complet construit
— Passionnante mais anecdotique
Fondamentaux
Libertés droit incommunicabilité
Solitaire grand
— Généreuse et courageuse
D'une traite en haletant

C'est déchirant
C'est qui dit et aujourd'hui
C'est là
Capital


FLUIDE 255

Nichons
Plage
Approcher
Angoisse

Faux
Peur
Fille

Faux
Beurre
Fille


--- jeudi dernier inauguration du salon du livre une fois n’est pas coutume le dernier mot revient à la presse gratuite c’est cela qu’il aurait fallu lire religieusement sur les stands amuse gueule direct soir sortez du quotidien la lecture doit être un moment de détente et pas une prise de tête donc j’aime bien les romans qui se laissent lire comme ceux de Marc Lévy ou Nicole de Buron que je lis actuellement sinon mon livre de référence c’est l’homme qui marchait dans sa tête l’année dernière je n’ai lu qu’un seul livre je suis plutôt adepte des magazines surtout ceux consacrés au sport et au cinéma il m’arrive d’en lire deux ou trois par mois en revanche même si je lis très peu de romans cela ne m’empêche pas de connaître les classiques comme Alphonse Daudet ou Guy de Maupassant comme tout le monde j’ai lu à l’école les grands classiques comme Molière aujourd’hui je lis des écritures comptables toute la journée alors le soir quand je rentre je n’ai pas envie de me plonger dans la lecture mais plutôt de regarder la télévision je lis environ trois livres par an surtout de la philosophie je n’ai pas beaucoup de temps à accorder à la lecture quand je rentre le soir je suis trop fatiguée pour lire avez-vous un lieu un endroit particulier où vous aimez lire l’Italie une façon très personnelle inattendue de relayer l’idée militante d’un devenir minoritaire de la littérature éditos Jacques Séguéla Jean-Marc Morandini ça veut tout dire nous direz vous blâmer le divertissement peut-être mais là permettez tout de même le débat n’est pas clos après tout bien qu’ayant traversé les âges aucun mutant anachronique n’aura jamais été assez con pour aller s’enfermer dans le désert SVP mimez les guillemets de Port-Royal ou ceindre un cilice la preuve on vient de faire à l’instant une concession majeure au mainstream en rétablissant les majuscules à tous les noms propres les correcteurs d’orthographe vous renvoient impitoyables à vos chers études avec leurs petits zigouigouis rouges dès qu’on sort des rails ça rend fou de les regarder je sais pas vous il appuie le canon de l’arme contre sa tempe désormais conscient qu’ILS se sont emparés de son esprit mais à la longue je me conforme ---

(PUBLICITÉ)

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- NORD SUD, simili Best Of -
Le texte le plus baroque au sens littéral, avec de vrais anges au plafond : Le Jardin des délices.
+
Le quatre mains le plus récent : L’Automne à Beijing.
+
Au choix le post le plus glacial : Tomographie anachronique, ou le plus glaçant: Life is Soap.
+
Le pastiche le plus respectueux : Blonde.
+
Le meilleur titre : celui-ci.

Rien de tout cela n’est en librairie mais les auteurs, eux, y sont.
Bien fait pour eux.
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--- comment ça il est pas arrivé vous m’aviez dit vendredi c’est une rupture éditeur imprévisible ça ne devrait pas durer je ne peux pas être plus précise l’éditeur ne m’a pas donné de date de disponibilité tu avais raison Fred de prévenir qu’on finirait par ce conformer fatalement je dois rétablir aussi la ponctuation pour quand l’autre en face s’exclame s’interroge: alors je l’aurai quand ? je vous ai dit je n’ai pas de date j’ai votre numéro je vous fais signe dès qu’il arrive oui mais quand même vous me dites vendredi et moi je viens exprès et puis en fait vous l’avez pas quoi faut pas vous plaindre qu’on aille à Carrefour après, Frédéric n'est plus mort à ce stade mais Emma au sud est seule je suis désolée je n’ai pas assez pour vous rendre la monnaie sur cent euros ah ben démerdez-vous je ne peux pas la librairie est ouverte depuis trente minutes et les quatre clients avant vous m’avaient eux aussi que des gros billets non mais merde quand même c’est votre boulot d’avoir la monnaie faut pas vous plaindre si on va à Carrefour après vous m’avez appelée téléphoniquement je viens chercher mon livre vous me rappelez votre nom ? XXX, je n’ai aucune commande à ce nom je vais essayer avec une autre orthographe non rien quel est le titre du livre ah mais je me rappelle plus moi et vous êtes sûre d’avoir donné ce nom-là quand même je sais comment je m’appelle, certes, et tu constateras qu’en loucedé j’ai commencé à rétablir également les virgules on commence comme ça puis le lendemain c’est la peine de mort qu’on rétablit, ah mais attendez essayez avec YYY voilà je vous ai trouvée ah bé alors c’est pour ça c’est mon nom de jeune fille mais bon c’est mon nom quand même et à Carrefour on vous demande pas votre nom à la caisse hein au petit il lui faut le malade imaginaire c’est pour l’école on lui demande une édition particulière ah je crois pas ce qu’il faut surtout c’est le livre pas la pièce ah mais le malade imaginaire c’est une pièce ah bon vous avez pas le livre alors si regardez le voilà oh mais c’est quoi ce truc c’est écrit partout là ce sont des didascalies des indications de jeu si vous voulez eh bé c’est la pièce moi je veux le livre je vous dis bon allez on va à carrefour ils l’ont eux ---

En larmes à la pâtisserie, je commande une galette des rois. Je suis fatiguée des cons. La dame me sourit et sans rien dire m’offre une boîte de chocolat. Quand je l’ouvre, je peux lire « Servir c’est régner » inscrit au stylo sur le rabat en carton.


fm+emd.

Poèmes squelettes : © www.stase.org (notre QG historique).

mercredi 25 février 2009

Le NORD poste le SUD, et tout le monde est à l'OUEST

(...)


VENUS V

Aphrodite



Vénus obscène
Ta proie dans ta toile marine
Se débat, hurle et s'évagine
Et tu vois au fond
Son visage exsangue tendu vers d’autres cieux
Au fond d'une eau bleue comme une veine


Ô ma fée sauvagine
Confondue dans l'azur
Ton corps peint de ciel
Enivre les étoiles
Et éteint tous les feux


La ville morte
C'était tes yeux
Sur les nuages effacés de l'aurore
Ophélie maladive




Testament


Postérité nulle
Vissée à la télévision
Tu regardes ta descendance
Naître des mensonges d'une vie rêvée


Dans tes délires translucides
Comme eux tu parcours les cités mortes
Hallucinations
Phares en plein visage
Tu n'as plus rien à perdre sauf les autres
Alors tu tues
Tu tues la vie suspendue à des élastiques
La tête dans le vide tu me demandes encore :
— Quelle est la route ?
Mais je ne sais pas ma vénus
Je ne sais plus rien
Il ne reste qu'un trou béant




e.m.d.




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::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: © LG…
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Poèmes tirés du recueil poétique inédit de EMD, intitulé Mes Vénus blanches - poèmes manga.

Deux autres extraits en sont parus dans le numéro 12 de la revue BORBORYGMES, qui publie par ailleurs dans son nouveau numéro (le 13, donc) une série de Japonaiseries par FM+EMD. Borborygmes sera présent au Salon du Livre (stand G76, Ile-de-France), avec en plus une lecture spectacle le dimanche 15 mars à 17h.

La photo illustrant ce post a été choisie par FM. Elle est signée LG..., autre accro aux initiales basée à Caen où par ailleurs elle anime une émission, le mardi à 18h, sur Radio 666 (réseau Faerarock).

///

jeudi 12 février 2009

NORD SUD - L'Automne à Beijing (sources)

L'Automne à Pékin de Boris Vian ne se passait pas du tout à Pékin. Notre texte, si. Mais notre intention en l'écrivant n'a bien sûr jamais été de nous en prendre sérieusement aux "nouveaux riches" chinois, ou kalmouks. Ce serait un peu... facile. La vraie satire, donc, se niche plutôt dans la langue dont est (re)composé leur moi fictif, aussi bien, d'ailleurs, que le monde dans lequel ils évoluent (n'est-ce pas parce qu'il EST ce qui l'entoure que le nouveau riche peut se payer un nouveau moi?). Une langue indissociable des collages qui forment ici l'épine dorsale de la narration. Pourtant, si vous n'avez pas lu notre petite histoire en trois actes, mieux vaut sans doute le faire AVANT d'en consulter les sources:

L'AUTOMNE A BEIJING, première partie.
(Lien vers la partie suivante à la fin du texte, idem pour passer de la deuxième à la dernière---puis lien pour revenir aux sources---)

Lesdites sources vont du très chic mais qui n'a rien à voir avec rien ---- Le Japon éternel de Vadim Eliseef --- à l'inavouable --- Le Nouveau Détective et un hors série du Figaro Magazine paru avant les J.-O. Bill Gates nous a gentiment indiqué la Route du futur --- avec un coup de main anachronique des livres parus chez Taschen (les livres ont des mains c'est bien connu) au sujet de Pierre Koenig et des Case Study Houses Nous continuons d'user de notre abonnement au Courrier International comme Shakespeare, jadis, (ben tiens!) des veilles chroniques --- En plus de détails véridiques sur l'existence des grands de ce monde (n°902 et 932), nous y avons cette fois trouvé reproduits de sublimes propos de Malcolm Gladwell (n°952) --- on n'en a conservé qu'une phrase mais c'est beau comme du Alain Minc. Aux antipodes de la glose volontiers lénifiante des béats du libéralisme, nous avons demandé le secret du vrai truc à Clausewitz (dont la pensée stratégique fascinait Guy Debord, lui-même concepteur d'un Kriegspiel: "Jeu de la guerre") et autres Sun-Tsu, avec en plus une pincée de Lao-Tseu --- L'Art de la guerre, de Frédéric Encel, nous a été d'une aide précieuse. Rien, cependant, ne nous en aura plus appris sur le monde comme il va que le hors série d'octobre 2007 du magazine MILK - "Styles et inspirations pour l'univers de l'enfant" --- (Le moins qu'on puisse dire c'est que ce n'est pas Germinal --- et puis l'enfant, c'est l'avenir, n'est-ce pas?) --- Quiconque a lu Storytelling verra sans peine tout ce que L'Automne à Beijing doit aux thèses de Christian Salmon --- Toutefois, nous n'avons nullement tenté d'en offrir ici une "illustration" crédible (nous contentant, tout au plus, de les frotter à d'autres phénomènes peut-être comparables: le développement du "géomarketing social", etc.), et nous n'y avons pas non plus trouvé de raison de renoncer à inventer nos propres histoires. Que Salmon lui-même tire de son analyse des conclusions aussi drastiques reste d'ailleurs à prouver (faute d'avoir tous lu ses livres traitant du devenir de la littérature nous n'essaierons pas de trancher la question) --- Enfin, Fred tient à remercier son frère, sans qui l'idée de ce texte n'aurait jamais vu le jour.

fm+emd

lundi 9 février 2009

NORD SUD - L’Automne à Beijing (épisodes 5, 6 et 7)

-
Dernière partie.
Pour la première (épisodes 1 et 2), c'est ICI.
Pour la partie centrale (épisodes 3 et 4): .

5.
Aujourd’hui c’est l’anniversaire du petit dernier, Gab-han’a (il souffle ses 8 bougies !). Sa sœur, Dolce (11 ans), et ses copains plus âgés sont également de la partie. Dolce arbore fièrement un blouson bleu ultra épaulé de la Police Nationale française, adapté à ses mesures (la maman, quoique fière d’être Chinoise, ne veut pas pour elle de bidules ethniques ou « fifille »), un pantalon de treillis qu’égayent des motifs originaux, tissés de fils d’or et d’argent : les plaques minéralogiques les plus recherchées dans les Émirats arabes unis, reproduites d’après l’Argus. L’armée de copains de Dolce est tenue à distance de son espace dodo – un cadenas d’or en condamne l’accès : de nos jours on n’est jamais trop prudent. Mais tous savent que dans la famille, quand on fait la fête, c’est dans les grandes largeurs – et sur le budget de la société.

Déjà l’attrait de l’aventure fait briller les regards enfantins. Car la belle et grande maison a bien changé depuis hier. Les ouvriers ont mis les bouchées doubles et la ravissante masure de la vieille dame s’y inscrit désormais comme un élément de décoration à part entière. L’équivalent, somme toute, d’un piano de prix, de ces bassins intérieurs rafraîchissant les villas antiques… Ou mieux : la cage à la porte toujours ouverte d’un oiseau rare, dont le charmant babil est plein de sagesse et d’enseignements pour qui sait l’entendre ! Ils le comprennent d’instinct, eux dont les petites mains palpent avec avidité les murs grossiers de la vénérable bicoque (dont la rusticité ne fait que mieux mettre en valeur la luxueuse moquette faite main sur laquelle elle parait délicatement posée), attirant sur le seuil l’aïeule qu’ils entourent bientôt de leurs attentions enthousiastes…

***

Illuminev contemple ce touchant spectacle avec une satisfaction non dissimulée
« Plutôt que de s’obstiner à vouloir l’en bannir, mon idée, dès l’origine a été d’entreprendre de placer la petite dame au cœur de l’existence de la famille, et de son espace de vie. Mais il va de soi que pour imposer cette conception innovante, j’ai eu à surmonter de fortes réticences, y compris et surtout de la part de ma cliente, qui n’était pas habituée à considérer les choses de cette manière. »

La faiblesse appelle toujours l’agression. Ces nouveaux riches sont habitués à obtenir tout ce qu’ils veulent, tout de suite. Pauvre vieille, soumise à un isolement géopolitique total. La prudence et la fermeté d’une petite force n’en peuvent pas moins arriver à lasser et maîtriser même une nombreuse armée. D’autant plus quand le défenseur attend l’assaillant bien campé sur ses positions. Le recours massif à des galeries de mine pour effondrer des pans de la maison fut un échec. On avait creusé une première tranchée perpendiculaire à la façade, puis plusieurs perpendiculaires à cette tranchée initiale. Un solide travail de sape depuis ces tranchées n’avait finalement abouti qu’à faire crouler la gigantesque salle de gym au plafond doré de la villa, qu’on avait eu l’imprudence de commencer à construire, ainsi que la « chambre royale » prévue à l’étage au dessus. Division dans les villes et les villages, division externe, division interne, division de mort et division de vie : 5 espèces de dissensions, branches d’un même tronc. Ne restait d’autre solution que de reconstruire l’harmonie. À la solution finale préférer la solution feng-shui. Soit, comme le disent les anglo-saxons : travailler autour du problème.

« Alors je suis retourné voir ma cliente, et je lui ai raconté l’histoire de l’accordéoniste chinois qui chante La Banlieue de Moscou sur fond de fleuve en crue – elle a compris que ce que cette histoire nous enseigne, c’est que rien n’est plus souple et faible au monde que l’eau, or pourtant pour attaquer ce qui est dur et fort, rien ne la surpasse. »

Un sourire de satisfaction attendrie vient éclairer le visage du consultant/conférencier/président, tandis que passe devant nous en courant un bambin aux beaux yeux noirs émerveillés, brandissant dans sa menotte (manifestation inédite mais ô ! combien touchante de cette dévotion qu’on voue depuis toujours aux anciens dans l’Empire du milieu) une grosse touffe de cheveux blancs qu’il vient de prélever sur la tête chenue de l’aïeule.

***

6.
Il serait faux de voir la nouvelle approche des problèmes prônée par Monsieur Illuminev comme étant en opposition avec le pragmatisme auquel lui-même doit sa réussite dans les affaires, puis en politique. Souplesse et adaptation – n’est-ce pas là, justement, le secret éprouvé de toute formule innovante ? La somptueuse demeure de sa cliente, si elle s’est littéralement lovée (à l’image du grand escalier d’apparat en marbre) autour de la maison ancienne, recèle mille petites innovations pratiques visant à tirer partie de cette configuration inédite. Ainsi le système de ventilation de la cuisine, ingénieusement relié à l’intérieur de la maisonnette dont elle est mitoyenne (et néanmoins « séparée » par le biais d’une habile disposition interne des volumes, un jeu complexe de comptoirs bas et d’écrans de verre givré). C’est aussi un bon moyen d’échanges culturels ! Le cuisinier est un Français et depuis lors il semblerait que la vieille Chinoise née avant la Grande Marche, elle assure total niveau bouillabaisse, cassoulet, and more !

Les effets de la crise financière rendent d’autant plus nécessaire de rentabiliser, dans la mesure du possible, l’investissement qu’a représenté la digestion de la vieille dame et de son domicile par la construction moderne, qui s’élève en gradins de un, deux puis trois niveaux d’acier et de (fibre de) verre (elle est entièrement informatisée de façon à dispenser ses occupants d’avoir à effectuer ces mille petits gestes contraignants de la vie quotidienne qui les rattachaient encore au vulgaire) – « Sue Ling a beaucoup d’argent, mais de nos jours il ne suffit plus d’être millionnaire pour être riche, précise Illuminev. Sa profession lui rapporte mais ce sont ses placements en bourse qui ont rendu tout cela possible. »

Or, contrairement à ce que croit en Occident l’homme de la rue, peu de pays ont autant souffert ces derniers mois que la Chine.
« Maintenant, cette maison avec sa vieille il va falloir l’amortir en la faisant visiter aux touristes. Les Chinois, il n’y a que les très vieux comme elle qui ne veulent pas aller vivre dans des tours, mais bientôt ils vont commencer à s’intéresser à leur passé, vous ne croyez pas ? Je veux dire en dehors de la Grande Muraille. Quant aux occidentaux, bon, il y en a moins, mais c’est sûr qu’ils vont adorer. »
Avant que le temps n’en fasse son affaire, il est essentiel que la vieille dame ne cesse pas de démontrer son utilité sociale. C’est une question de dignité. Nul ne pourra prétendre, non, personne, que la nourriture qui lui sera jetée par les visiteurs, cette honnête travailleuse chinoise ne l’aura pas méritée et gagnée par sa contribution active à la Mémoire.

***

Autour de nous la fête enfantine bat son plein. De même qu’un Prince éclairé et vigilant met tous ses soins à bien gouverner, une maman habile ne néglige rien : les petits diables sirotent avec gravité et sérieux leurs sodas 0% dans des bouteilles d’aspect « givré » à la signature Absolut™, avant de se ruer rejoindre leurs camarades en train de jouer avec la vieille dame qu’ils ont décidément tout à fait adoptée.

« La première fois que j’ai allumé l’électricité, ça a failli exploser!
– C’est que tu t’y es mal pris.
– Oui, regarde, intervient un troisième mouflet, c’est comme ça que ça marche. Je l’ai vu dans
24h. »

D’autres bambins, moins turbulents, préfèrent s’attarder aux abords de la discothèque escamotable, où les plus grands affichent en dansant un air blasé et languide. Certains paraissent rechercher la proximité des adultes, nous-mêmes, et nous les entendons raconter leurs histoires. C’est par exemple Ambre Xue, 11 ans, qui affirme : « L’âme d’un pianiste est devenue la mienne ». Sur le circuit international des mélomanes, ses avis et critiques font autorité, même si par réaction contre les « singes savants » du conservatoire de Beijing elle se refuse catégoriquement à toucher un instrument. Plus modeste, sa copine Lili s’est bornée à transformer sa chambre en galerie d’art miniature où elle arrange ses chaussures telles des installations conceptuelles. Lam, 9 ans, a pour sa part créé le site Web commercial www.quiatuemaman.com . Quant à Dolce et Gab-Han’a, il nous suffit d’avoir visité leurs chambres pour savoir que l’univers des deux rejetons fait échos à celui de leur créative maman. Tout à l’heure nous avons ainsi entendu le petit garçon crâner à propos du bureau ancien qu’il s'est choisi lui-même, quand il avait 6 ans. Et eux et leurs copains sont intarissables quand il s’agit d’analyser la récente hausse de la demande annuelle de jets.

***

Le président Illuminev nous entretient du thème de son prochain cycle de conférences, qui le conduira à travers toute l’Europe, la Russie et les États-Unis, soit, comment « vendre la Crise » aux consommateurs paupérisé. Il s’agit pour lui de fournir des réponses adaptées et innovantes à la vague de sentiments négatifs apparus dans l’opinion vis-à-vis des supposés « responsables » des difficultés actuelles. Afin d’illustrer son propos, il entreprend de nous conter une histoire, celle de l’accordéoniste chinois qui chante La Banlieue de Moscou sur fond de fleuve en crue. Une histoire dont le sens profond est lié au caractère évidemment inexorable de la catastrophe :
« Je ne pense pas qu’il y ait eu vénalité ou corruption. Ce n’est pas un scandale au sens où nous l’entendons généralement. Le système n’a pas fonctionné comme il aurait dû. Le cadre réglementaire n’était pas adapté à ce que les gens faisaient. »

***

7.
Comme nous parlons, un message tombe sur l’iPhone™ du jeune président : « A3 – Sort – Architecte – Tout de suite ». Il nous entraîne alors sur la principale terrasse de la maison, d’où nous pouvons apercevoir qu’un bulldozer a malencontreusement plié la Mercedes S. de la maîtresse de maison (qu’elle a customisé façon vilaine tôle et fait couvrir de tags™ par un Street Artist new-yorkais – c’est ça, le nouveau vintage !) Un petit homme d’aspect indistinct, sans doute l’architecte, agite les bras à notre intention, en signe d’impuissance.

Illuminev ne parait guère troublé. Haussant les épaules, il continue à parler (de solidarité, de la nécessité de dépasser les catégorisations arbitraires de type classes sociales, etc.) en admirant le parc. Non loin de la minuscule silhouette épileptique de l’architecte, notre attention est attirée par le ballet des travailleurs migrants en collant argent, engagés pour la journée afin de parcourir l’immense pelouse en brandissant à l’intention du petit Gab-Han’a, pour son anniversaire, de grosses étoiles en téflon doré synonymes de chance. Nous nous rendons compte qu’il va être temps de prendre congé. M. Illuminev me tend sa carte où on peut lire :
Chaos financier – un astrologue au secours de votre épargne.

Quel magnifique terrain, soupire-t-il, pensant déjà à son prochain départ. Cela me rappelle ce proverbe de mes aïeux mongols : « Il faut raser toutes les villes pour que le monde devienne une immense et moelleuse moquette où les mères dynamiques de la libre entreprise verront leurs enfants se rouler ».

***

Avant longtemps, nous nous reverrons pour en consacrer une parcelle, comme suprême champ de repos. La victoire revient à celui qui tient le dernier quart d’heure. Une fois triée, vous verrez, on en fera de magnifiques colliers.
?
C’est triste et en même temps pas vraiment. Ainsi va le monde. Il s’agit d’apporter sa contribution. Nous avons tous une histoire à raconter.

***

FIN DE LA DERNIÈRE PARTIE.
Sources: JEUDI 12.