jeudi 11 février 2010

NORD SUD - Retour à Carthage, Mutants Anachroniques vs. YSOGOL


CARTHAGE-VIDÉO est l’un des textes qu’on a lus chez Mycroft, ça fait déjà un bail — tiens : 2 ans presque jour pour jour ! Ce texte a aussi inspiré 3 morceaux à YSOGOL, le troisième étant plutôt un collage d’ambiances posant les bases d’une B.O. imaginaire :
http://www.myspace.com/mutantsanachroniquesvs
Ça c’est pour la musique. Pour ceux de nos très honorables visiteurs qui ne connaîtraient pas le texte lui-même, où ne s’en souviendraient pas, nous le repostons ici...

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Je vais, en l'absence de mon Dieu, conter au long et au large l'année vingt-neuvième de mon âge.

J'arrivai dans cette ville avec des fantasmes de proximité — le cloisonnement étant politique. Les artistes y rigolaient, sillonnant les rues à bord d'une Mercedes ou encore baisant chez eux devant la photo du chien, sans parvenir à soulager l'auditeur du poids d'un imaginaire germé entre les pages people de Gala. Quant à moi — avide misérablement de me gratter au sensible — j'étais sans appétit pour les aliments inrockuptibles.

C'est donc dans un mauvais parfum de conformisme pépère et d'intolérance franchouillarde que, pendu à mon bout de chair, je tendis mon cul en forme de tête d'insecte vers l'habitation voisine — se soulevant énormément pour qu'on voit bien que ça rentre et que ça sort —: espace public sans bannière, mais avec intertitres poético-licencieux. Là je tombai sur des individus en proie au délire d'orgueil, charnels à l'excès et bavards.
J'entrai dans cette industrie comme dans une boucherie —
Ô mirages de corps,
corps truqués !

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« Les culs seront japonais ou ne seront pas », déclarai-je pour garder une contenance.
J'en profitai pour scruter cette espèce de troisième pied — la dernière contemporanéité du corps — tandis qu'il s'enfilait sa capote comme un Adonis qui n'aime que lui-même. Je fus alors en grand émoi à l'idée que j'allais être contraint par nécessité de déposer ma charge sur le champ.
Il était avant tout Français, et très nationaliste de surcroît — d'où son air dégoûté et critique envers la touche « avance rapide » et mon sourire blanc… Ah, comme je m'en voulais d'être moins dans le besoin !

C'était en mai 98 — on a décidément les révolutions qu'on peut.

Je poursuivis ma visite. Le but recherché était de me sortir de l'environnement qui m'étouffait et d'avoir l'assurance de passer des moments inoubliables, de découvrir des plaisirs nouveaux et exceptionnels — mais les femmes étant coupées en deux, la pointe de mon intelligence ne pénétrait pas dedans. Aussi ouvris-je le catalogue des Derniers Etats du Corps publié par les rêves fétides de perfection surhumaine crypto-nazie.

Voici ce que j'y lus :

« Si l'on fait l'amour comme l'on a envie de le faire avec des cariatides électroniques rasées du pubis et carrossées chez Leni Riefenstahl, toutes les beautés inférieures que sont les lépreux sans crécelle de la classe moyenne arrivent sans prévenir, mais quand même prévenantes. Ils ne dissocient jamais l'action de la description méticuleuse, usant de leur langue inventive et con jusqu'aux derniers états de la pensée. »

J'allai donc de ce pas louer un des ces films pour hétéros où le cul est clinique. On y voyait — tournez-vous si ça vous gêne — une Américaine aux ongles hyper longs, hyper fluo, se faire enculer à mort par deux femmes en une seule : l'une énergique, indépendante et aventureuse, qui s'efforçait de trouver le bonheur, l'autre paralysée par la peur, par un sentiment d'insécurité, par la crainte de ne pas être à la hauteur avec ce bouchon en liège recouvert d'un préservatif mal ajusté à l'extrémité de l'appareil.
Il était déjà évident que leur relation ne marcherait pas — et, après les derniers déchirements de la fiction, je sus que rien de ce que je pourrais faire n'y changerait quoi que ce soit. Mais nous choisissons bien souvent d'ignorer les avertissements de simple bon sens que nous prodigue notre voix intérieure.

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Écumant les plateaux à la recherche d'un rôle qui ne serait pas en contradiction avec mes principes (s'accorderait avec les recommandations de mon thérapeute et ferait de la pornographie cette chose magnifique qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être), j'avisai la même actrice — celle aux deux visages — en train de se faire sodomiser par une grue de voirie.
C'était l'occasion que j'attendais (effectivement touché de loyale et sincère miséricorde, je pouvais même souhaiter qu'il y eût des misérables pour donner lieu à ma miséricorde).
Je lui avouai alors désirer avoir une relation stable avec elle, ou du moins essayer — si elle était d'accord bien sûr. Je voyais bien que la relation dans laquelle elle était présentement engagée la faisait souffrir, et qu'elle n'arrivait pas à s'en libérer — les femmes ne pouvant pas avoir de regard cynique sur ce qu'elles sont en train de faire, il faut les coloniser sur une idée de sentiment.

Dans les premiers temps suivant notre rencontre, je la vis devenir progressivement plus forte et plus indépendante — plus à même de voir ce qui lui faisait du mal. Elle parvint même à divorcer d'avec sa grue.

Las ! J’avais sous-estimé son degré de dépendance affective et sexuelle… Un jour, sur la petite plage privée de la vidéo où nous jonglions avec la quille romance et la balle sexe, je la vis courir se placer au centre d'un cercle de partouzeurs.
En dépit de ma propre souffrance morale, je posai sur eux un regard impartial et fis le constat de la totale absence de mélange — tous blancs, si sinistrement —, l'ordinaire de ces hommes consistant sans doute en de pauvres filles chez qui tout trahissait une profonde identité franchouillarde d'apprenties coiffeuses et sur lesquelles ils se vengeaient, sur le mode du coït industriel, des surgelés pas très frais de la veille. Quel dégoût m'inspiraient ces méduses bio-luminescentes ! Le soir même, je décidai de renoncer à ma carrière et quittai cette ville maudite, seul.

Elle avait fini par mourir, ma mauvaise, ma criminelle adolescence ! Au bout du compte, dans le porno, il n'y a que de la physique — et je trouve ça terrible.