samedi 1 août 2009

NORD SUD - Florian 4bis: "Last Days of les mythologies de Roland Barthes,The King Size Ready-Made Experiment".



EXTÉRIEUR JOUR:
Les branches des sapins pendaient, lourdes dans l’air moite. Au ciel passaient des nuages gris, et tout était si opaque… Puis la brume se levait et se traînait pesante et moite sur les buissons, avec tant de paresse, tant de lourdeur. (---) D’abord il marcha avec lenteur (…), puis il marcha avec une rapidité désespérée ; le paysage l’angoissait, il était si étroit qu’il craignait de se heurter à tout.

Il poursuivait indifférent sa marche, peu lui importait le chemin, qu’il monte ou descende. La fatigue, il ne la ressentait pas, simplement il lui était désagréable, par moments, de ne pouvoir marcher sur la tête…



Au début il ressentait une oppression dans la poitrine chaque fois que les pierres s’éboulaient, que sous lui s’agitait par secousse la forêt grise, dont la brume tantôt engloutissait les formes, tantôt dévoilait à demi les membres puissants. (…) Tout lui apparaissait si petit, si proche, si trempé. Il aurait aimé mettre la terre à sécher (…). Il ne comprenait pas qu’il lui fallût un temps si long pour dévaler une pente, pour atteindre un point éloigné. Il pensait qu’il lui suffisait de quelques pas pour tout parcourir. Par moments seulement, quand l’orage rejetait les nuages dans les vallées, que leurs vapeurs montaient en bouillonnant le long de la forêt, que les voix se répercutaient sur les rochers (…) qu’ensuite le vent expirait, que tout en bas du fond des ravins montaient des sons évoquant une berceuse ou des tintements de cloches… alors sa poitrine se déchirait, il s’arrêtait, suffoquant, le corps plié en avant, les yeux et la bouche grand ouverts, il lui fallait, pensait-il, amener l’orage en lui, faire en lui tout tenir (…).

Il faisait un froid humide ; ruisselant des rochers l’eau sautait sur le chemin. (---) Il n’arrivait plus à s’y retrouver ; un sombre instinct le poussait à chercher son salut. Il butait sur les pierres, il s’écorchait de ses ongles ; sous la douleur il commença à reprendre conscience. Il se précipita dans l’eau du bassin, mais celui-ci n’était pas profond, il y pataugea.



Pierraille grise, (…) rochers et sapin. (---) Là-haut il s’assit. (…) Tout (était) si tranquille, si gris, si vague. Il se sentit terriblement solitaire. Il était seul, tout seul. Il aurait voulu se parler, mais ne le pouvait pas, il osait à peine respirer ; quand il cambrait le pied, il avait l’impression que résonnait un tonnerre au dessous de lui (…). Une peur sans nom le saisit dans ce néant : il était dans le vide ! Il se leva brusquement et dévala la pente.


INTÉRIEUR JOUR:
Vers cette époque, Lukas vint avec sa fiancée (…). Dès cette arrivée, Blake fut contrarié ; il s’était fait sa petite place à lui, le peu de calme qu’il avait lui était des plus précieux…. Et maintenant survenait quelqu’un qui lui rappelait trop de choses, avec lequel il lui fallait parler, discuter, et qui était au courant de sa vie.

Il entra ; ses boucles blondes pendaient sur son visage blême ; il avait des tressaillements dans les yeux et tout autour de la bouche, ses vêtements étaient déchirés. C’en était bien fini du bienfait qu’il avait tiré du calme (…) et du silence de la vallée ; le monde où il avait voulu avoir sa place présentait une monstrueuse déchirure ; il n’éprouvait ni haine, ni amour, ni espérance… seul un vide effroyable, et l’inquiétude torturante à vouloir le combler. Il n’avait RIEN. Ses actes, il ne les accomplissait pas en toute conscience, c’était un instinct au fond de lui qui l’y contraignait. Quand il était seul il ressentait à tel point l’horreur de la solitude qu’il se parlait sans cesse à voix haute, qu’il lançait des appels, et puis il retrouvait sa frayeur, avec l’impression qu’une voix étrangère s’était adressée à lui.

Dans la pièce où pointait le jour, tout dormait, même la jeune fille s’était calmée. Elle était inclinée en arrière, les mains repliées sous la joue gauche ; ce qu’il y avait de fantomatique dans ses traits avait disparu L’homme s’éveilla. Ses yeux tombèrent sur une image qui brillait au mur, ils la fixèrent avec insistance et sans faiblir ; alors il se mit à remuer les lèvres. (…) Il s’avança jusqu’à la fenêtre et l’ouvrit, l’air froid du matin le fouetta.



EXTÉRIEUR NUIT:
Il traversa le village. Les lumières brillaient derrière les fenêtres, en passant il jetait un regard dans les maisons : enfants à table, vieilles femmes, jeunes filles, rien que des villages calmes, silencieux. Il lui sembla que c’était d’eux que la lumière émanait. (---) Des formes passaient rapidement devant lui, il se pressait contre elles ; c’étaient des ombres, la vie lui échappait, et ses membres étaient tout engourdis. Il s’agrippait à tout ce qui autrefois faisait couler plus vite le sang dans ses veines, il essaya tout mais… n’était que le froid, le froid !

Tout affluait de nouveau. Ce qu’il entrevoyait de son ancienne condition le faisait tressaillir et jetait des traits de lumière dans le chaos désolé de son esprit.


INTÉRIEUR NUIT:
Entre temps, des gens étaient entrés (…), ils se prosternaient sans un mot. La jeune fille était étendue, agitée de tressaillements, et la vieille chantait d’une voix gutturale.





Tout ce qui l’assaillait, la musique, la douleur l’ébranlait. Pour lui l’univers n’était que blessures ; il en ressentait une douleur profonde, indicible. Et maintenant, une autre présence : une bouche divine, palpitante, se penchait sur lui et se collait à ses lèvres ; il monta à sa chambre solitaire. Il était seul, seul ! Alors la source jaillit, des fleuves coulèrent de ses yeux, il se recroquevilla sur lui-même, ses membres furent agités de tremblements, il eut l’impression de se dissoudre, d’éprouver une volupté à laquelle il ne trouvait de cesse ; finalement il redevint lucide, il se prit d’une sourde et profonde commisération pour lui-même, il pleura sur son sort, sa tête retomba sur sa poitrine, il s’endormit.



Au ciel, c’était la pleine lune ; les boucles glissaient sur ses tempes et son visage, les larmes étaient suspendues à ses cils et venaient sécher sur ses joues… ainsi gisait-il maintenant là, seul, et tout était calme et morne et froid.


INTÉRIEUR JOUR:
Les demi tentatives de suicide qu’il ne cessait d’entreprendre n’étaient pas très sérieuses. C’était moins le désir de mourir (dans la mort il n’y avait pour lui pas plus de calme que d’espérance) que, dans les instants de la peur la plus redoutable ou dans ceux du calme sourd aux frontières du néant, la tentative de reprendre conscience grâce à la souffrance physique. (…) Il était assis froidement résigné dans la voiture lorsqu’ils quittèrent la vallée en direction de l’ouest. Où on le conduisait lui était égal.

En réalité ce n’était pas vraiment de lui qu’il s’agissait, il était poussé par un puissant instinct de conservation : c’était comme s’il était double et qu’une partie de lui-même cherchait à sauver l’autre, et qu’elles s’appelaient l’une l’autre ; en prise à la peur la plus vive, il racontait des histoires, récitait des poèmes, jusqu’au moment où il revenait à lui.

Au moment de conclure, il avait pris de l’assurance, et les voix se remirent à chanter :
Fais qu’en moi les saintes peines
Jaillissent comme des fontaines.
Que soit la souffrance tout mon gain,
Que soit la souffrance mon service divin.





© Georg Büchner traduit par Lionel Richard, Gus Van Sant, montage : Mutants Anachroniques Summer Camp !