samedi 19 février 2011

SUD - Le Vide 3 - Vacuum cleaner, nettoyage par le vide.

C’est alors que tu ne viens pas. Parce que tu as désormais un nom vers lequel est tourné le tournesol de mon attente. Ce tu n’appartient plus au monde, ce tu n’est plus universel. Palpitant comme une chair meurtrie capable d’absorber tout geste d’amour.
De quoi l’à vide était le nom.

Je t’attends toi, dévorée d’insomnie.


Je ne désire plus que ta main. Ta paume tendue vers ma paume. Et je n’ai plus le secours de la fiction où tu te métamorphosais polymorphe. Où tu disais toujours oui. Dans la vie d’avant je pouvais t’embrasser en pleine rue. Tu ne te doutais de rien, assise dans ton bureau à des centaines de kilomètres de là. Aujourd’hui, je ne peux plus jamais aller seule nulle part. Ni aller nulle part. Ailleurs. Je marche vers toi, toujours et tout le temps. Et tous les sexes prennent l’empreinte du tien. Et toutes les bouches parlent par ta bouche.


Suspendue à ton bon vouloir - autant dire à ton imperceptible façon de jouer avec les signes, un fil ténu - j’avance marionnette, mes jambes allant l’amble dans le miroir aux alouettes. Tu m’as donné de voir le secret des mots mais aussi baptisée Cassandre. Tu m’as donné d’aimer mais ceux qui me tournent le dos. Tu m’as donné le rire mais je ne l’ai jamais entendu terrasser ce sourire limaille de fer que je porte comme une vilaine tâche de mépris en plein visage. Tu m’as donné cette inextinguible volonté mais pas de but.


Je n’ai jamais poussé trop loin mes incursions là où tu vis. Le monde extérieur me semble toujours trop loin. Pendant des années j’ai vécu en pensant qu’il pouvait y avoir contagion. Sans doute on peut appeler ça innocence mais moi je ne mettrai aucun nom là-dessus.





De là où je me tiens, je vois le serpent lumineux de l’autoroute sinuer vers le toit des maisons et les bureaux encore éclairés au dernier étage des gratte-ciel. C’est la nuit depuis longtemps déjà. Je ne veux plus me souvenir quand elle a commencé.


Je me remémore tout ce que j’ai tenté. T’atteindre. Croire que c’était possible. Faire comme les autres mais en un peu différent. Ceux qui savent t’approcher. Ceux qui te côtoient si aisément qu’ils ignorent jusqu’à l’idée de l’envie de pencher la tête pour obtenir de toi un baiser. Ces sultans aux rondeurs centripètes vautrés sur tes coussins dont la volupté leur est, par l’habitude et le fait acquis, devenue étrangère, je ne veux plus les contempler depuis le pays des affamés.


Le ventre creux qui pourrait avaler n’importe qui n’importe quoi, je suis pourtant habitée de légions. Remplie jusqu’à ras-bord.


Alors je saute. Pas comme un ange. Non. En trombe. Comme une caillasse balourdée du haut du puits. Aspirée par le vide. Mais l’aspiration est encore un souhait. Et je veux tout nettoyer.





Photo Copyright E MD.

SUD - Le Vide 2 - Empty voices, empty rooms.

Je passe mes doigts sur tes tatouages et ça peut sembler idiot mais je les sens après. Comme je les sens après les avoir enroulés tendus remontés descendus autour de ton sexe. Et bêtement je souris à l’absence de tâches vertes.

J’aurais voulu avoir le temps de connaître tous les desseins de tes dessins. Pourquoi celui-là, pourquoi celui-ci, pourquoi ce jour-là et pour qui ? On écrit toujours à quelqu’un. Est-ce que ça fait mal ? En mémoire de quoi ? De qui ?

Je mets mon nez dans le sous-bois des aisselles et dans celui de l’aine qui sent le ventre de matou, le duvet humide au déhanchement des pattes, le bébé animal. Je me demande si les petits chats ont aussi des dents de lait. Sûrement. C’est à ce moment-là que la souris passe.
Tu n’as pas su trouver les neuf pièces d’or que j’avais glissées sous ton oreiller.

Mes doigts vernis de toi, je les frotte deux par deux puis chasse d’un revers de main les minuscules paillettes que ça fait tomber sur le drap.
Je te parle, tu ne dis rien.
Je me demande si tu ne préfèrerais pas que je me taise pour pouvoir t’endormir. Mais je ne pose pas la question.

Est-ce que tu m’écoutes ?

J’aimerais la caresse de ta main dans mes cheveux mais je n’ose rien exiger.
Je fais semblant d’être au repos et je m’en veux de n’avoir pas la force de me lever et de te rouer de coups. Ou de te laisser là, sur une cinglante réplique qui ne me vient pas, les yeux au plafond, j’imagine. Eviter demain qui sera mat et blanc, saturé de cris absents qui me laisseront - je le sais déjà - assise et stupide avec le goût jaune et vert de la bile.

Mon champ de vision survole trois grains de beauté flous (je suis trop près) sur la pente descendante qui rejoint le drap avant de buter sur le mur d’en face. J’essaie de rendre aussi palpable que possible la mollesse de mon corps qui pourtant prend feu. De l’accorder à la circonstance. Mais je suis toute tendue de questions et mon cœur cogne grosse caisse sous la chemise.
Pas de stase.


Je nous voudrais unis par un fil électrique, le courant alternatif clac clac encore. Je me tais. Intranquille. Toi, inconscient de l’abnégation dont je fais preuve pour me dissimuler bien consciencieusement que j’ai moi-même créé ce que j’adule encore. C’est une maladie à ce point-là. Je le sais parfaitement. Et comme dans le cliché, je me refuse à guérir. Je n’ai peur de rien tu vois.






J’ai terriblement envie d’allumer une cigarette. Mais je ne bouge pas.

Tu ne dis rien du tout.
Je te voudrais endormi. Mort peut être. Et j’ai ce pressentiment qu’il ne faut surtout pas dire que je t’aime à cause du sourire cynique qui ferait une mauvaise couronne à mes cheveux. (J’ai des yeux derrière la tête et je sais tout de toi).

Je reste immobile. Le corps le plus léger possible. Une jambe entre tes jambes, ma tête sur ton sein plat. L’immobilité de tes bras alignée à ton corps gigantesque, je ne l’aurais pas remarquée sans le contraste qu’elle fait avec le clignement sporadique (nerveux ?) de tes paupières.
Tu ne dors pas. Tu ne me tiens pas (dans tes bras). Tu es là plombant comme une absence qui ne fait même pas semblant d’être loin. Ça dure comme un vieux siècle qui rechigne à laisser la place. Et je finis par sombrer sur le coup de chance d’une seconde au relent d’hallali.
Et je m’endors, absolument en train de te haïr, mon amour.



Photo Copyright Nan Goldin.

SUD - Le Vide 1 - Empêchement : Sylvia sweet part of sublime.

A l’heure du petit-déjeuner inhabituellement volubile, elle lui parle de ces femmes artistes écartelées entre la chose qui intime d’être construite et la course aux moyens de survie qui a la boulimie du temps. Et les enfants et la maison.

Une femme veut être quelqu’un mais on lui demande d’être quelqu’un d’autre. Si elle n’accomplit pas son destin, doit-elle se trahir pour autant ?
Inquiètes de mal faire, elles en retirent une double culpabilité. Un truc qui ronge. Y être à moitié, n’y être pas vraiment. Un sentiment de duplicité. Elles se doublent elles-même, clouées sur le bois dur de l’impossibilité à tuer l’ange du foyer.

Tout n’est plus qu’attente. Un temps fou perdu à se persuader que tout ça n’est pas que velléités. Que tout ça n’est pas cette naïve histoire de petite fille qu’elles se sont si souvent racontée, assises au centre d’après-midi aux minutes dilatées que déroulait l’océan.



Sylvia Plath et Diane Arbus ont toutes les deux fini par allumer le gaz.
Il dit pose ce putain de briquet, je me charge de faire les courses.
Elle sourit à ses chaussures.
Dehors les feuillages frémissent comme un baiser de salaud.

Mais une fois assise à son bureau elle feuillette ses notes et les trouve toutes ineptes. Nulles.
On a toujours mieux à faire que d’être assise face à soi suspendue dans le vide. Je suis le sentiment dans la chair. Pas l’intelligence dans la chair. Je suis simple et il ne faut pas me penser. Je suis si polie. Et tout soudain me semble si vain.
Alors elle se demande où est-ce que j’ai bien pu laisser l’aspirateur.



Photo Copyright Diane Arbus.