vendredi 21 septembre 2012

SUD - Blonde encore.

Quand on a un don ou fait de sa vie un « exploit », ça devient identitaire. C’est ce qu’on vend. C’est avec cela qu’on séduit. En même temps qu’on le vend, l’expérience devient discours, récit, avec des bornes en amont et aval : le début et la fin. C'est-à-dire que ça fait sens. Une portion isolée du magma informe qu’est la succession de vouloirs, espérances, actions sans importance, plans sur la comète, désirs etc. qu’est la vie.
Marilyn ne veut plus être Marilyn à son retour de New York. Elle veut être une actrice de composition. Prendre langue autrement qu’autour d’une bite.
- Mais ce que j’ai à vendre, ce que je sais faire, c’est Marilyn, alors c’est ce que je fais.
Dès la descente de l’avion elle embrasse l’air à pleine bouche. Et personne ne la prend au sérieux.

Quand on s’est construit un personnage, inutile d’essayer d’en sortir. C’est la prison. Tous veulent des fictions. Avec un début et une fin, c'est-à-dire la possibilité de se rejouer indéfiniment le scénario comme l’enfant qui, tous les soirs, réclame la même histoire. Encore et encore jusqu’à l’impossible point de jouissance où il devient lui-même à la fois l’histoire – avec un début et une fin et non plus un magma d’actions et de pensées en mouvement qui ne savent pas où elles vont– et le personnage, immuable, toujours habillé et maquillé pareil pour qu’on sache bien que c’est lui et pas cet autre qu’il pourrait aussi devenir.

Zelda Zonk aurait pu exister. Mais pas après Marilyn. Il aurait fallu qu’elle soit la première. Imaginons une belle fille qui rencontre un photographe. Pour ça, de la patience. Elle lit Nietzsche mais lui préfère ses jambes nues. Non. Il préfère les jambes nues de celle qui lit Nietzsche.

Nue dans la piscine. Sûre de son pouvoir, de son but. Faire oublier Liz Taylor. Elle jette le maillot de bain couleur chair. Elle fout l’hypocrisie à la benne.
- Jouer tue. Etre. C’est ce que vous voulez ? C’est ce que je suis. Ça tombe bien. De quoi ai-je peur ? Je sais que je peux jouer. J’en suis certaine. Je peux jouer. Mais ne pas être effrayée, ce serait ne pas être du tout.

Quand elle se prépare, qu’elle se maquille – rituel – elle appelle Marilyn, elle la fait advenir à force d’incantations secrètes et soudain elle apparaît. Le chant triste et lancinant amène le sortilège. Elle ne sait jouer que ce rôle-là mais elle l’est à la perfection, un dédoublement de personnalité. Dans les films elle joue Marilyn qui joue Sugar Kane, qui joue Chérie, qui joue Lorelei Lee, qui joue Rose Loomis, qui joue Roselyn la désaxée.

Un modèle plus qu’une actrice. La créativité du modèle. S’il suffisait d’obéir aux ordres du photographe. Non, il faut jouer, inventer. Il faut séduire l’œil de la caméra.

Marilyn black session, Marilyn white session illustrent parfaitement Nietzsche - La vérité est une femme : ses voiles, ses pudeurs et ses mensonges lui appartiennent essentiellement. Nous ne croyons pas que la vérité reste encore vérité quand on lui enlève ses voiles. - et Emily Dickinson - La vérité se révèle bien mieux sous les voiles/Comme sous les dentelles une poitrine/Et sous les brumes les Apennins.


Tout le monde a un secret mais il n’est pas toujours aussi cinématographique qu’une mère courant dans un couloir et vidant son chargeur sur son gosse. La question est de savoir comment la vie peut être possible quand on n’a aucune marque sur le front, rien de visible au fer rouge qui vienne rien justifier. Trois jambes, une sœur siamoise, une queue de sirène … Diane, réponds.
Ici quand même il y a eu abandon.
- Et bien on se dessine une bouche comme une plaie voluptueuse, des yeux non répertoriés au catalogue et la voix articule chaque mot à bout de souffle. Aussi des éjaculations ont-elles été enregistrées au simple son de passe-moi le sel.
- Elle avait dit passe-moi le sel CHERI.
- Ça ne suffit quand même pas à élucider le mystère. On a même retrouvé des traces de griffures dans le dos.
- Passe-moi le sel…

Aux transes initiales, succède le théâtre, dont la traduction étymologique est souvent « lieu pour voir », mais qui est plutôt un lieu pour avoir des visions. L’acteur dramatique comme vecteur de la vision. Tu es l’objectif, le but en soi et ce par quoi je vois. De quoi Marilyn est-elle la vision ? Ecouter avec les yeux.
- Je peux te regarder ?
- C’est toi qui vois.

Marilyn effraie les hommes. Les femmes la fuient sûrement. Trop lourd la compétition. Etre dans la même pièce qu’elle équivaut à disparaître. Elle est seule. Aussi isolée qu’une île entourée de sa propre mer. Y compris le soir de ses 36 ans, la plus grande star d'Hollywood.
- Rien entre moi et mon rôle.

Pour advenir Zelda, il aurait fallu que tu détruises ton beau visage. Il aurait fallu que tu te crèves les yeux.