mercredi 28 juillet 2010

SUD - (préfacé par le nord) Le Choix des libraires

J’avais trouvé dans Les Échos (que nous recevons à mon boulot, cela dit on peut penser ce qu’on veut, c’est là que se trouvent les vraies infos) une magnifique photo montrant de pauvres jeunes femmes assises en rang d’oignon face à l’objectif, l’air complètement désarmé, niais, surmontée d’un titre supposément estival : « Voici revenu le temps des stagiaires. » Ce devait être le post du mois de juillet. Je ne comptais pas inclure l’article lui-même. Il offrait pourtant un contraste non dépourvu d’intérêt avec la photo, puisqu’il y était question de stagiaires aux dents longues (parvenant ou non à supplanter tel salarié titulaire, chef de service, etc.) qui étaient tous des hommes, à l’inverse des potiches sus décrites. Pour finir, mon Olive favorite a flanqué le canard à la benne, à la faveur d’un tardif et néanmoins énergique nettoyage de printemps. J’ai donc demandé à Emma la permission de poster à la place un lien vers une des ses récentes chroniques radio, enregistrées pour « Le Choix des libraires ».


L’écrivain écrit pour un lecteur idéal. Au sens grec, j’imagine. Le lecteur auquel ont affaire les commerciaux et les représ est un lecteur modélisé ou construit. Un bon éditeur navigue à vue entre ces deux images : de la cible à mon semblable, mon frère. Les seuls à vivre quotidiennement au contact du lecteur concret, en chair et en os, sont donc les libraires. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils en font parfois un complexe. Cette spécificité, en dépit de tous les beaux discours, les isole au sein, ou plutôt au bout de la fameuse « chaîne de l’édition ». On ne leur pardonne jamais tout à fait non pas leur rôle de prescripteur, mais ses limites. Je sais qu’à la rentrée (en octobre plus exactement) Emma fera de son mieux pour vendre mon livre. Je sais aussi qu’elle ne pourra pas le conseiller à n’importe qui. Certes, nous savons elle et moi qu’il pourrait, en fait, être lu par des gens qui ne se croient pas capables de le lire… Sauf que là on parle long terme. On parle dialogue au long cours. On parle abolition progressive des préjugés et des inhibitions. Le libraire peut inciter les gens à élargir leurs horizons, il n’est pas, pour autant, un hypnotiseur. Il ne serait pas bon qu’il le soit. On a plutôt besoin de lecteurs adultes, aujourd’hui.


Emma me pardonnera, je pense, de souligner qu’elle n’a jamais été à l’aise avec les gens (ces fameux « gens », on y revient toujours) même à distance. Sur l’enregistrement effectué pour « Le Choix des libraires », on sent qu’elle se fait violence. Elle est encore moins à l’aise qu’au moment d’enregistrer ses parties de voix pour Les Secrets de leur cerveau — sur un micro qui, pour une raison depuis oubliée, était posé par terre. Comme disait Bowie, le rock (ou n’importe quoi d’autre fonctionnant sur le même esprit) c’est pas le boulot le plus difficile, on peut toujours s’envoyer un rail ou une vodka avant d’y aller. Or Emma fait ici son boulot de libraire, c'est-à-dire qu’elle présente un livre, souligne ses qualités, mais n’est pas en position d’accomplir un travail critique hyper poussé qui lui permettrait de se mettre elle-même en valeur. C’est très ingrat, comme job. Surtout pour une artiste qui a beaucoup à dire. Elle est cependant bien placée pour savoir qu’il est nécessaire. Moi en tout cas, je sais quel bouquin je vais emporter en vacances :


http://www.lechoixdeslibraires.com/livre-91351-antibes.htm


Le titre fait vacances, c’est sûr. Et si ça ne me plaît pas, à la prochaine conjonction nord-sud, c’est qui hein qui paiera sa tournée ?


f.m.

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