mardi 21 octobre 2008

SUD - Lettre à l'amant imaginaire

Une fois n'est pas coutume, je vous écris le matin. Il se trouve que je suis à la maison car j'ai attrapé une maladie passée de mode depuis de 2 siècles. Décidément je suis vraiment une fille d'un autre temps. Donc j'ai les poumons en feu, chaque respiration produit le son d'un moteur de voiture et je crache du sang. C'est terriblement éprouvant mais follement exotique, un peu comme si avaient poussés autour de moi des paravents chinois, des tentures de soie brodées de minuscules fleurs blanches de cerisiers, je m'attends à ce que Monsieur Swann sonne à l'instant même ou peut être Monsieur de Lamartine. J'enverrai Olympia ouvrir, c'est ma femme de chambre, une mulâtresse d'une beauté quasi inconvenante pour sa position. J'aime la fièvre et son cortège de fantasmes. Soudain je comprends mieux pourquoi Michaux a passé sa vie enfiévré avec des baobabs qui poussaient dans son lit et tout un bestiaire rampant sur les murs de sa chambre crasseuse.

Je suis seule avec des livres de Gabrielle Wittkop. Il y a pire comme compagnie et je ne pourrais d’ailleurs pas prétendre à mieux. La phtisie est une maladie de solitaire. Parler nécessite un effort si démesuré que ce serait folie de s’y employer pour satisfaire à la seule futilité de ma conversation. Un amant serait aussi bien inutile qui se laisserait par bonté secouer par ces quintes de toux abominables, puis se lasserait ; m’obligeant à quitter l’étreinte condescendante de ses bras pour aller cracher ces mucosités rouges de sang et gluantes. J’ai réprouvé la fureur instinctive que j’avais de les toucher. Tenir entre le pouce et le majeur ces petits agrégats carmin et poisseux. Un plaisir tactile comme les enfants en ont, toujours à vouloir mettre la main dans leur assiette de pâtes, à gratter la terre, à presser un lombric entre leurs doigts pour en faire jaillir la pulpe.

Pendant l’accalmie qui étire l’espace entre deux crises, mes forces ne me permettraient pas non plus de gouter aux plaisirs sensuels. Pas comme l’une ces maladies dite honteuses mais pas trop grave qui vous ferait par jeu envoyer votre amant le nez entre vos cuisses pour vous badigeonner les lèvres et qui s’étonne de leur roseur, de la fraîcheur inattendue de leur parfum en pareille circonstance, si ce n’était ce petit renflement là, aïe, vous gémissez et tortillez les fesses quand il y pose le doigt, et qui, trouvant le badigeon bien triste, préfère y glisser la langue, puis le doigt et bientôt le sexe tout entier qui vous fait hurler de douleur puis de plaisir jusqu’à ce que vous ne puissiez plus les distinguer l’un de l’autre. Quand c’est fini, c’est autre chose. Une carotte de fer chauffée à blanc empalée dans votre ventre des larmes vous viennent aux yeux. Vous urinez sous l’eau froide pour noyer l’acidité. Il fait une moue enfantine et vous passe la main sur la joue. ça va ? Vous dites que oui, vous dites que vous payez cher ces quelques instants de volupté et que maintenant c’est malin, vous êtes intouchable pendant dix jours alors que si on avait été sage en quatre ou cinq jours c’était réglé. Il continue de sourire parce qu’il sait bien que vous ne le priverez pas de caresses pendant si longtemps, que vos doigts et votre langue et votre bouche tapissée de soie humide engloutiront à nouveau avec délice son sexe dur tendu vers votre nez, ses bourses effleurant vos seins qu’il aura dégagés de leur prison de dentelle blanche pour en pincer le bout. Il vous vient alors à l’esprit qu’il a fait exprès de vous casser pour mieux vous faire marcher autrement.
Mais je vous disais donc que rien de tout cela n’est envisageable dans mon état. Encore ai-je la chance que mes capacités physiques que permettent à nouveau de lire. J’en étais bien incapable hier encore.
J’attends de vos nouvelles. Cette nuit peut être ? Ne me laissez pas languir trop longtemps !
Je vous aime, je vous désire, je vous attends.

Votre E.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

c'est superbe.
les belles maladies sont inspirantes.